A mi-chemin entre le missile et le drone. C'est un peu l'idée du Fire Shadow, un nouvel engin conçu par MBDA pour le compte de la Royal Artillery britannique dans le cadre d'un programme de développement rapide lancé en mars 2010. Mais, au-delà des applications terrestres, le missilier européen y voit aussi un potentiel pour les forces navales. Le retour d'expérience de l'engagement militaire en Libye démontre, en effet, l'intérêt de développer les capacités d'attaque depuis la mer. Ainsi, les frégates ont, largement, utilisé leur artillerie, alors que le Charles de Gaulle intervenait avec son aviation embarquée au plus près des côtes. Néanmoins, le porte-avions est un outil dont on ne peut assurer, pour l'heure, la disponibilité tout au long de l'année, son « petit frère » se faisant attendre. Quant aux frégates, leur artillerie, bien qu'ayant été d'une grande aide contre les forces du colonel Kadhafi, est limitée en portée et présente une précision relative, surtout contre des objectifs terrestres plus ou moins embusqués. Et cette précision devient encore plus relative s'il n'y a pas de moyens aériens ou de troupes au sol pour guider les tirs. Il est vrai que dans le cas de la Libye, la proximité du théâtre d'opération assurait une présence des forces aériennes pouvant intervenir depuis des bases terrestres. Mais, dans certains cas de figure, le soutien de l'aviation ne serait pas forcément garanti, hors porte-avions. Dans cette perspective, la munition rodeuse (« loitering munition ») de MBDA peut présenter un intérêt et compléter les outils dont disposent les forces armées. Pour l'action contre la terre, le concept du Maritime Fire Shadow se situe entre le canon et le missile de croisière, en offrant la capacité de traiter les petites cibles mobiles.
Une autonomie de 6 heures et une portée d'environ 100 km Long de 4 mètres pour un poids de 200 kilos, le Fire Shadow développé pour l'armée de Terre britannique se présente comme un missile doté d'ailes déployables après le lancement. Volant de manière autonome ou en mode piloté pour les phases d'identification et d'attaque, il s'agit d'un « consommable », c'est-à-dire qu'il n'est pas récupéré après son départ. Catapulté, l'engin, prévu pour voler à 5000 mètres d'altitude, peut voler 6 heures à la vitesse de 150 à 300 km/h, son rayon d'action étant d'une centaine de kilomètres. Il peut suivre un chemin direct jusqu'à la cible ou être positionné de manière à rôder dans l'espace aérien, une décision « homme dans la boucle » permettant au moment voulu de lancer une attaque précise et rapide contre une cible sélectionnée. Grâce à un système optronique léger, il peut effectuer des missions de reconnaissance. En cas de détection, le Fire Shadow réduit son altitude à quelques centaines de mètres afin d'identifier la cible et, si nécessaire, la neutraliser grâce à sa charge militaire sur ordre de l'opérateur. Avec cette munition, la Royal Artillery souhaite compléter ses moyens lourds, en disposant d'un engin discret et mobile capable d'effectuer des missions d'appui feu au profit des troupes au sol. Le contexte de guérilla, avec des embuscades et la présence de snippers, comme c'est le cas en Afghanistan, est bien évidemment visé. Immédiatement disponible sur le théâtre d'opération, ce nouveau missile peut, toutes proportions gardées, se substituer à un avion ou un hélicoptère en offrant une bonne capacité de frappe contre cibles mobiles tout en étant plus discret. « Le Fire Shadow comble une grande lacune capacitaire dont souffraient les forces armées, face aux nouveaux besoins qu'imposent les opérations militaires en cours », estime Steve Wadey, directeur général de MBDA UK.
Tir d'essai du Fire Shadow (© : MBDA) Le Fire Shadow (© : MBDA) Système de commande terrestre (© : MBDA) Plus souple et mobile que de grosses pièces d'artillerie, tout en présentant une allonge supérieure, le Fire Shadow n'a pas vocation à se substituer aux drones. Il est d'abord voulu comme un moyen flexible, réactif et économique permettant à une armée de Terre de protéger ses unités avec plus d'autonomie par rapport à l'aviation, qui ne peut, toujours, être présente à l'instant T. Contrôlé localement par un système de commande relativement simple, le Fire Shadow peut être mis en oeuvre avec une liaison de données de type UHF, ce qui offre une capacité vidéo et se révèle nettement moins coûteux que les canaux satellites utilisés par les grands drones de combat, comme le Predator américain, dont les « pilotes » sont situés aux Etats-Unis alors que l'intervention se déroule dans un pays étranger.
Le Maritime Fire Shadow (© : MBDA) Une version maritime pour l'appui feuA l'occasion du salon DSEI, qui s'est déroulé cette semaine à Londres, MBDA a présenté une adaptation de cette munition pour un emploi naval. Il ne s'agit pas pour le moment d'une demande de clients, mais d'une initiative interne que le groupe a mûri au regard des derniers développements industriels et opérations militaires, et afin de diversifier les applications potentielles du Fire Shadow. Moyennant quelques adaptations pour tenir compte des mouvements de plateforme (tangage, roulis) et l'aérologie sur le navire porteur, le Maritime Fire Shadow pourrait tout à fait, aux dires de l'industriel, trouver sa place sur un bâtiment de combat. Pour faciliter l'intégration, MBDA propose que le lanceur terrestre existant soit, simplement, élingué sur le pont, avec la possibilité d'acheminer par hélicoptère lanceurs et missiles, regroupés sous forme de conteneurs. La place étant comptée sur un bateau, l'encombrement de la catapulte et des munitions semble plus compatible avec une grande unité, comme une grosse frégate ou, plutôt, un navire de type porte-hélicoptères d'assaut/bâtiment de projection et de commandement. Dans ce cas, le MFS pourrait participer à la sécurisation d'opérations de débarquement, ou encore remplir certaines missions d'appui feu dévolues aux hélicoptères de combat et pour lesquelles l'état-major ne souhaite pas risquer un appareil et son équipage. Il pourrait, aussi, servir à contrer des raids nautiques menés par de petites embarcations. Les installations de préparation de mission, de pilotage à distance et de contrôle de mission, qui ne nécessitent pas un important interfaçage avec le système de combat du navire porteur, seraient soit intégrées dans les locaux du bâtiment, soit, comme on l'imagine plutôt chez MBDA, installées dans un shelter posé sur le pont. En tenant compte de la flamme du booster dont est équipé le missile, l'emprunte spatiale du système est estimée à un carré d'environ 10 mètres de côté.
Tir d'essai du Fire Shadow (© : MBDA) Nouvelle campagne de tirs réussieEn attendant d'éventuels développements dans le domaine naval, MBDA finalise la montée en puissance de la version terrestre du Fire Shadow, qui vient de subir avec succès une série d'épreuves de démonstration et deux tirs supplémentaires. Ces réalisations ouvrent la voie à l'entrée en service du système dans l'armée de terre britannique, prévue pour l'année prochaine. Le premier tir, effectué avec un système d'arme complet, a été réalisé le 21 novembre 2010 à Vidsel, en Suède. Il visait à tester la qualité de l'intégration système, du lancement, de la stabilité de vol, de la navigation par points tournants et de la transmission de données, autant d'aspects qui démontrent la maturité de la munition. Le missile a volé pendant plusieurs dizaines de kilomètres et a effectué sur sa trajectoire un certain nombre de manoeuvres, dont une phase en vol rôdeur.
Lors du deuxième tir, effectué sur le même site le 13 mai 2011, la munition a suivi un scénario plus complexe, avec une mise en oeuvre complète de la fonctionnalité « homme dans la boucle ». L'opérateur a pu sélectionner une cible représentative et l'engager avec succès. « Le test a été un succès complet et a permis de souligner toute la performance et la robustesse du produit », se félicite MBDA.
Pendant tout le déroulement du programme, MBDA a travaillé en étroite collaboration avec le futur utilisateur et les autres parties prenantes du programme. Plusieurs épreuves « pratiques » menées dans les bancs d'intégration de MBDA à Filton et à Bedford, ont permis aux militaires d'adapter la « convivialité » du système, d'affiner la tactique, les techniques et les procédures (TTP) et de préparer la formation opérationnelle, qui devrait se dérouler plus tard dans l'année. Le système a également été testé de façon intégrée avec un centre moderne des opérations de l'espace de bataille, lors de la Démonstration d'interopérabilité des armées (CWID).
Grâce à la rapidité d'exécution de ce programme, le Fire Shadow devrait être déployé pour la première fois, sur un théâtre d'opération extérieur, dès l'année prochaine.
Le Fire Shadow (© : MBDA)