Économie marocaine

Le géant chinois CATL a-t-il décidé de s’implanter en Hongrie au détriment du Maroc à cause de la récente annonce de méga-usine faite par Ryad Mezzour ? « Faux », répond au Desk le ministre de l’Industrie, qui affirme que son département n’était plus en négociation avec ce fabricant de batteries depuis deux ans. Le projet marocain est en cours avec d’autres potentiels équipementiers automobiles. Retour sur un emballement

Le Maroc doublé par la Hongrie sur le projet de gigafactory de batteries pour l’industrie automobile dévoilé en juillet par Ryad Mezzour  ? Il a suffi des dépêches de Reuters et de Bloomberg annonçant le 12 août l’implantation du géant chinois Contemporary Amperex Technology Co. (CATL) dans le pays d’Europe de l’Est pour que la rumeur gagne les réseaux sociaux.

« La gigafactory de batteries qui aurait été promise au Maroc, ira finalement en Hongrie. Projet de plus de 7 milliards d'euros », s’enflamme entre autres sur Twitter un élu de l’AFG à Rabat, citant un communiqué de Hipa, l'agence magyare de promotion des investissements.

100 GWh en Hongrie, 16 GWh au Maroc

 Le projet hongrois de 7,34 milliards d’euros qui prévoit l’édification d’une usine de batteries de 100 GWh dans la zone industrielle de Debrecen n’est pas sans rappeler en effet celui divulgué par Ryad Mezzour en marge de l’US-Africa Business Summit tenu à Marrakech du 19 au 22 juillet.

« Nous sommes en discussion et en négociation avec quatre à cinq opérateurs. Nous espérons avoir de bonnes nouvelles à annoncer d'ici la fin de l'année », avait alors déclaré le ministre à Medias24, précisant toutefois que la dimension du projet marocain se situe plutôt « autour de 16 GWh ».

Une annonce qui lui a valu une volée de critiques au nom de la discrétion d’usage pour un investissement de cette envergure, tant la concurrence est rude dans l’industrie des véhicules électriques. « L’annonce faite par le ministre (…) a d’ores et déjà compromis les négociations avec l’industriel étranger porteur du projet de la gigafactory de batteries électriques. La sortie ‘suspecte’ de Mezzour a poussé le concurrent du Royaume, la Hongrie à proposer de nouveaux avantages à cet industriel. 9 000 emplois et un investissement de plus de 2 milliards de dollars sont en passe de partir en fumée », lui reprochait le 2 août le site Le1 dans un article à charge. Ce dernier attribuait la déclaration du ministre à des « bisbilles » avec son collègue au gouvernement chargé de l'Investissement, de la convergence et de l'évaluation des politiques publiques Mohcine Jazouli, mais aussi avec Ali Seddiki, le nouveau patron de l’Agence marocaine de développement des investissements et des exportations (AMDIE).

« Tout est faux »...

Qu’en dit Ryad Mezzour – a qui Le1 n’a pas donné la parole ? « Tout est faux », nous répond le ministre, car le Maroc n’est « plus en négociations avec CATL depuis novembre 2020 - date à laquelle BMW a finalement décidé d'implanter son usine de véhicules électrique en Europe de l'est, l'usine de batteries venant tout simplement compléter l'écosystème de BMW en Hongrie, tout comme la future gigafactory marocaine complétera l'écosystème automobile marocain. ». D’ailleurs, la presse spécialisée avait depuis avril dernier fait état de la nouvelle stratégie de BMW pour concevoir un plan industriel « holistique » à Debrecen autour du concept « iFactory » à l’horizon 2025.

Selon Bloomberg, citant CATL, l'usine hongroise, qui sera implantée non loin de ses clients « BMW, Stellantis et Volkswagen », sera ainsi dotée d’une capacité de 100 GWh, « assez pour alimenter plus d'un million de voitures ». Ce qui est loin de correspondre au projet marocain qui, selon la description faite par le ministre dans un entretien donné à Medias24, devrait alimenter 40 000 à 60 000 voitures, le tout pour un investissement de 2 milliards d’euros.

« CATL n'allait pas s'installer au Maroc pour envoyer ses batteries en Hongrie, ça n'a pas de sens », nous lance Ryad Mezzour, qui affirme être toujours en négociations avec les mêmes autres investisseurs pour l’installation de la gigafactory. Une source proche du dossier nous apprend aussi que Managem n'a pas reconduit son contrat de fourniture de Cobalt avec BMW et ce pour servir Renault : 5 000 tonnes de sulfute de Cobalt par an, pendant une période de 7 ans et ce à partir de 2025.

D’ailleurs, comme l’avait déclaré son président Zeng Yuqun, CATL avait décidé, dès 2020, de s’installer au sein de l’Union européenne, en Allemagne, en Pologne ou en Hongrie.

Dans la course à la fabrication de batteries pour véhicules électriques, le Maroc a-t-il ses chances ? Le 21 juillet dernier en marge de la 14e édition de l’US-Africa Business Summit à Marrakech, le ministre de l’Industrie Ryad Mezzour avait annoncé une prochaine gigafactory de batteries au royaume.

“Le Maroc est en cours de négociation avec des fabricants de batteries pour véhicules électriques afin d’implanter une usine dans le pays pour s’intégrer au secteur automobile existant et à la production de cobalt”, avait précisé Ryad Mezzour dans un entretien avec l’agence de presse Reuters.

La Hongrie, championne de l’électrique

Quelques semaines après cette annonce, c’est un pays européen qui a raflé un investissement conséquent dans le secteur. L’entreprise chinoise Contemporary Amperex Technology (CATL), le plus grand constructeur mondial de batteries pour véhicules électriques, a annoncé le 12 août dernier la construction d’une gigafactory à Debrecen dans l’est de la Hongrie. L’usine de 100 gigawatts nécessitera un investissement de 7,34 milliards d’euros, le plus important du pays.

Il s’agit de la deuxième usine européenne de CATL, après celle de Thuringe en Allemagne. Ces deux usines vont fournir prioritairement les constructeurs automobiles allemands. Suite à l’annonce de la gigafactory hongroise, Mercedes-Benz a d’ores et déjà indiqué qu’il serait “le premier et plus gros client” des batteries CATL.

“L’usine hongroise de CATL n’a rien à voir avec le projet annoncé par le ministre”, rassure-t-on du côté du ministère de l’Industrie. Contacté par TelQuel, une source au sein du département de Ryad Mezzour explique que “la gigafactory CATL en Hongrie s’intègre dans l’écosystème Mercedes-Benz, ce qui ne sera pas le cas pour le Maroc”.

En 2017, Mercedes avait déjà délocalisé une partie de sa production en Hongrie pour un investissement de 1 milliard d’euros. Le pays de Viktor Orbán présente le double avantage de la proximité géographique et de coûts salariaux compétitifs.

Renault ou Stellantis ?

Dans un entretien accordé à Medias24, le ministre a révélé quelques détails de cette future usine. “Une gigafactory se compose de plusieurs lignes, chaque ligne a une capacité de 3 à 4 gigas (GWh). Elle peut alimenter de 40.000 à 60.000 voitures environ, car tout dépend aussi de la taille des voitures”, a expliqué le ministre. L’investissement sera de l’ordre de 2 milliards d’euros, soit une différence de 5,34 milliards d’euros entre les projets hongrois et marocain.

Les deux écosystèmes présents au Maroc sont ceux de Renault et de Stellantis. L’usine de Stellantis de Kénitra fabrique deux véhicules 100 % électriques : la Citroën AMI et l’Opel Rocks-e. Si Renault ne s’est pas encore lancé dans la voiture électrique dans son usine tangéroise, le groupe au losange a signé en juillet dernier un important contrat d’approvisionnement en cobalt marocain. En vertu de ce contrat, Managem fournira au groupe français 5000 tonnes de sulfate de cobalt, représentant une capacité annuelle de production de batteries électriques jusqu’à 15 GWh.

Dans quel écosystème la prochaine gigafactory s’intégrera-t-elle ? Dans le cas hongrois, en plus de Mercedes-Benz, l’écosystème local compte aussi un site de production Stellantis. Le groupe est d’ailleurs cité par le gouvernement hongrois comme l’un des potentiels clients de la future gigafactory CATL. Reste à savoir si cette option est viable pour le Maroc. “Les détails seront dévoilés d’ici la fin d’année”, se contente-t-on de nous répondre du côté du ministère. Affaire à suivre.