Suppostions D'achats de la MRM

Après l’acquisition de drones Bayraktar TB-2 auprès de la Turquie, le Maroc est-il passé à côté d’un contrat pour équiper sa marine royale, le parent pauvre des FAR ? À Ankara, des sources de défense ont complètement démenti l’existence de négociations entamées en octobre 2021 entre les marines des deux pays pour l’achat d’équipements navals par les FAR, selon nos confrères de Daily Sabah.

Deux jours plus tôt, le site de défense Tactical Report faisait pourtant état d’un possible contrat de 222 millions de dollars pour l’acquisition par le royaume d’une corvette de classe Ada et de sept bateaux lance-missiles Kiliç II, pour une livraison prévue au second semestre 2022.

Conçue dans le cadre d’un programme national, la corvette Ada a été modélisée dans le chantier naval de Pendik à Istanbul, le plus grand de Turquie. Équipé de radars, de système de guerre électronique et de missiles, ce navire sert à des patrouilles de surveillance ou des missions de reconnaissance et de guerre anti-sous-marine.

Développé dans le chantier naval Gölcük (nord-ouest) grâce à un transfert de technologie allemande, le Kiliç II est quant à lui une version améliorée d’un vaisseau d’attaque rapide par tirs de missiles pour protéger les côtes et les installations de toute attaque par de grands navires de guerre.

Ballon de sonde ?

L’annonce de l’acquisition de ces deux engins de guerre turcs par le Maroc serait-elle un ballon de sonde d’industriels turcs pressés d’inscrire le royaume dans leur carnet de commandes ? En raison du prix de la transaction, ce contrat maroco-turc a fait sursauter les observateurs des milieux militaires.

Avant de les produire dans leur version améliorée, la marine turque avait acquis en juin 2000 quatre Kiliç pour un coût de 477 millions de dollars. Plus récemment en décembre 2021, l’Ukraine a passé commande auprès de la Turquie de deux corvettes Ada — dont une livrable en 2023 inachevée — de même dans un contrat passé avec l’Ukraine en décembre 2020, avec une facture de 256 millions de dollars. De quoi relativiser le contrat annoncé entre le royaume avec le pays d’Erdogan sans pour autant remettre en doute les négociations.

“Les futures plateformes d’exploitation gazière sur la rive atlantique constitueront des sites d’intérêt stratégiques pour lesquels la Marine royale devra assurer une protection permanente”

“La Marine royale est en charge de plusieurs missions : sécuriser les côtes, contrôler l’accès à l’espace maritime national et l’exploitation des ressources naturelles et halieutiques, et assurer la protection des ports et infrastructures côtières ainsi que de la flotte de la marine marchande et des bateaux de pêche. Les futures plateformes d’exploitation gazière sur la rive atlantique constitueront aussi des sites d’intérêt stratégiques pour lesquels la Marine royale devra assurer une protection permanente”, rappelle Nizar Derdabi, analyste en stratégie internationale, défense et sécurité.

Renouvellement du parc naval

Notre interlocuteur reconnaît néanmoins que “la Marine royale est à la traîne par rapport aux autres composantes de l’armée marocaine (air-terre) dans la stratégie de renforcement des capacités de défense pour répondre aux menaces et aux défis imposés par la situation géopolitique et sécuritaire dans la région”, ajoute cet ancien officier de la Gendarmerie royale.

Le besoin de renouvellement du parc naval des FAR expliquerait en partie la probabilité du contrat maroco-turc. Le forum FAR-Maroc, qui relaye l’information de Tactical Report sur sa page Facebook, indique que la Marine royale possède une flotte de 4 navires d’attaque rapide de classe Lazaga. “Il semble que l’inspection de la Marine royale cherche à remplacer ces navires dont la technologie est dépassée et la maintenance de plus en plus coûteuse”, précise le forum.

“La maîtrise et le contrôle des espaces maritimes sur lesquels s’étend la souveraineté du Maroc, et la défense du littoral sur les deux façades maritimes nécessitent un renforcement de ses moyens : navires de guerre, patrouilleurs, système de surveillance (radars et avions de surveillance maritime), mais aussi des batteries côtières de lanceurs de missiles antinavires qui viendront appuyer cette flotte et compléter le dispositif de défense”, prolonge Nizar Derdabi.

L’urgence de l’heure

Contacté par TelQuel, Abdelhamid Harifi, chercheur sur les questions de défense, se dit perplexe sur ce contrat entre le Maroc et la Turquie. “Le Maroc a une flotte vieillissante à renouveler et un besoin énorme en termes de capacité d’action de l’État en mer (AEM) pour sécuriser le quotidien, maintenir la souveraineté du Maroc sur les eaux territoriales, combattre le trafic illicite, l’immigration clandestine. J’imagine mal le commandement marocain faire des achats de navires de guerre auprès d’un fournisseur qui n’a pas une position claire par rapport à la cause nationale.”

“J’imagine mal le commandement marocain faire des achats de navires de guerre auprès d’un fournisseur qui n’a pas une position claire par rapport à la cause nationale”

Abdelhamid Harifi, chercheur
L’expert planche sur une autre hypothèse. “Les patrouilleurs recherchés par la Marine royale sont des patrouilleurs plus légers pour remplacer la flotte vieillissante. Aujourd’hui, on parle de réserves de gaz et de pétrole au large des côtes marocaines, d’extension des zones économiques exclusives. Le Maroc a besoin de rafiots pour maintenir et protéger sa souveraineté sur ses vastes étendues maritimes et pour protéger les futures installations pour l’exploitation de ses richesses. La nature des missions de la Marine fait qu’elles ne sont pas encore dimensionnées pour des missions de guerre”, ajoute Abdelhamid Harifi.


En octobre 2021, des sources de défense à Ankara avaient indiqué à Tactical Report que le Maroc avait entamé des négociations pour l’achat de 10 patrouilleurs rapides ARES 35 FPB, conçus par la société turque éponyme pour des missions de sécurisation des littoraux et des installations stratégiques.

Sans dévoiler de montant, la publication indiquait que le Maroc cherchait aussi à acquérir 5 de type ARES 80 SAT, des bateaux télécommandables et multiformes pour les garde-côtes. Ce qui cadre mieux avec les besoins actuels de la Marine royale.

Après avoir contenté le Maroc sur la question focale du Sahara, Pedro Sánchez est venu à la rencontre de Mohammed VI à Rabat avec sous le bras deux dossiers critiques pour Madrid : desserrer l’étau qui asphyxie les enclaves de Ceuta et Melilla, mais aussi remettre à flot un important contrat militaire portant sur un patrouilleur destiné à la Marine royale

La rencontre à Rabat entre Pedro Sánchez, président du gouvernement espagnol et le roi Mohammed VI a donné lieu à une déclaration conjointe doublée d’une feuille de route en 16 points qui régiront les nouvelles relations maroco-espagnoles gelées depuis plus d’une année en raison de sérieux différends principalement liés à la question du Sahara Occidental.

En amont de cette réconciliation au sommet, Madrid avait concédé à Rabat que seule l’autonomie du territoire sous souveraineté du Maroc, selon le plan proposé aux Nations Unies en 2007, pouvait constituer une solution « sérieuse, réaliste et crédible » au conflit impliquant le Front Polisario et son chaperon, l’Algérie.

Ce nœud gordien des relations bilatérales entre les deux pays ayant été dénoué à l’instar de ce qui avait été conclu avec l’Allemagne, restaient d’autres volets diplomatiques, sécuritaires et plus largement économiques (la question du gaz notamment) à aplanir.

Des douanes pour les cités enclavées

A la lecture de la nouvelle roadmap, le point le plus saillant en est sans conteste celui par lequel les deux pays s’engagent à « normaliser leurs relations commerciales et douanières ». Selon Sánchez, cité par la presse ibère, cela signifiera la réouverture « progressive et ordonnée » des frontières fermées depuis le 13 mars dernier, mais aussi les douanes. Celle de l’enclave de Melilla a été fermée par Rabat en 2018, tandis que la possibilité que Ceuta (Sebta) puisse en être dotée (elle n’en a jamais été pourvue), comme le réclament depuis toujours les autorités de la cité, est désormais posée sur la table. Un énorme ballon d’oxygène pour la ville dont l’économie est asphyxiée après la perte de la manne du trabendo auquel le Maroc a mis fin et sur lequel évidemment, il n’est plus question de revenir.

Côté espagnol, bien que la déclaration commune fait l’impasse sur l’engagement du Maroc à respecter l’intégrité territoriale de l’Espagne, tel qu’exprimé dans la lettre envoyée par Sánchez à Mohammed VI, le président du gouvernement espagnol a minimisé cette question dans ses échanges avec la presse, considérant que le statut actuel de Ceuta et Melilla « n’est pas en danger ». Comprendre en creux : la manière avec laquelle la question des douanes sera résolue devrait aller dans le sens de ce qu’avance Sánchez sur une promesse ferme de Rabat de ne pas réveiller les vieux démons d’une revendication territoriale sur les enclaves et présides espagnols.

Les relations de bon voisinage promises par les deux parties connaitront ainsi, avant la fin de l’année, la tenue, suite aux conclusions de groupes de travail, d’un sommet (réunion de haut niveau) : le premier depuis 2015, après que celui de 2019 ait été reporté à plusieurs reprises. Il s’agira alors de discuter de certains des aspects qui sont toujours en cours.

Un patrouilleur Navantia à remettre à flots

L’un d’eux concerne le volet de la coopération militaire cher aux deux parties. Pedro Sánchez est venu à Rabat avec un important dossier sous le bras, celui du contrat de construction dans les chantiers navals Navantia, à San Fernando (Cadix) d’un patrouilleur Avante 1800 pour la Marine royale, dont la livraison était prévue pour 2024. On raconte dans la presse espagnole que le roi Felipe VI avait lui-même mouillé la chemise pour ce deal datant de 2020, finalement avorté par l’épisode de l’accueil de Brahim Ghali, chef du Polisario dans un hôpital de Logroño.

Le parti socialiste espagnol (PSOE) mesure tout aussi l’importance de cet enjeu, notamment pour la campagne électorale andalouse de cette année. Et même si l’exécutif espagnol avait déjà rassuré Navantia début mars sur la reprise de ce contrat de 130 millions d’euros avec, à la clé, un million d’heures de travail et 250 emplois directs sur trois ans et demi, les choses n’avaient pas pour autant évolué avant l’audience royale accordée à Sánchez ce 7 avril. Une audience au cours de laquelle, assurent des sources espagnoles, le sujet aurait été abordé.

Le Maroc qui muscle depuis des années ses capacités militaires dans le contexte de rivalité régionale avec l’Algérie et pour assurer sa pleine suprématie militaire sur le Sahara, pourrait même envisager, comme cela avait été évoqué avant la crise, d’étendre cette commande à Navantia à deux patrouilleurs supplémentaires.