Actualités Algeriennes

L’axe Alger-Abuja-Pretoria-Addis Abeba, destiné à contrer l’influence de Rabat et celle du Caire sur le continent est directement impliqué dans une brouille géopolitique régionale. La nouvelle idylle entre l’Algérie et l’Ethiopie irrite l’Egypte, une puissance africaine et arabe désormais concurrencée. La tenue du sommet arabe à Alger, quoiqu'officiellement maintenue, est plus que jamais remise en question. Analyse

Les conséquences de l’annonce, fin février dernier, par le président nigérian Muhammadu Buhari de la création d’un G4 africain réunissant son pays, l’Algérie, l’Ethiopie et l’Afrique du Sud commencent à peine à se faire ressentir. Alger a déclaré à demi-mot son soutien à Addis Abeba dans son différend avec Le Caire autour du méga-barrage édifié par l’Ethiopie sur le fleuve du Nil. Le régime de Sissi voit d’un mauvais oeil ce rapprochement qui risque, d’après la presse panarabe, de torpiller l’organisation du sommet de la Ligue arabe, prévu les 1er et 2 novembre prochains.

Le site d’informations londonien Al-Araby Al-Jadeed, soutient l’existence d’un concordance entre l’Egypte et certains pays du Golfe sur « la difficulté d’organiser le sommet dans les contextes arabe et régional actuels ». Un diplomate égyptien a confié au média que « les positions de l’Algérie envers l’Iran expliquent l’hésitation des puissances du Golfe » au sujet de la tenue de cette réunion des chefs d’Etats arabe qui devait être la première depuis le déclenchement de la pandémie de Covid-19.

Un risque d’auto-sabotage par l’Algérie

Un autre diplomate égyptien a quant à lui mis l’accent sur « l’obstination de l’Algérie à étendre ses relations avec l’Ethiopie sans tenir compte de la crise entre Addis Abeba et Le Caire », qui a fini par « assécher (sic) » les relations entre cette dernière et Alger. Pour le dignitaire égyptien, « le pouvoir égyptien considère que les conventions signées entre l’Algérie et l’Ethiopie ne prennent pas en compte la dimension des relations algéro-égyptiennes, alors que l’Egypte commençait à peine à dépasser son omission du G4 africain dans lequel Alger a joué un rôle important dans sa création ».

Fin août, le premier ministre éthiopien Abiy Ahmed Ali a effectué une visite officielle dans la capitale algérienne au cours de laquelle il a rencontré le président Abdelmadjid Tebboune, officialisant ainsi le rapprochement inédit entre les deux pays. Dans un communiqué publié à la suite de la rencontre entre les deux responsables, le palais de la Mouradia a délibérément omis la question de la querelle entre l’Egypte et l’Ethiopie autour du barrage de la Renaissance, et s’est contenté de mentionner « l’industrie agro-alimentaire, l’industrie pharmaceutique, la recherche scientifique et l’enseignement supérieur » comme exemples de domaines où les deux pays peuvent accroître leur coopération.

Officiellement, le G4 africain a pour mission de coordonner, analyser, concerter et trouver des solutions aux défis du continent en proposant un mécanisme stratégique qui vise, selon les quatre pays membres, à apporter des solutions « pratiques et efficaces  » aux différents problèmes auxquels l'Afrique est confrontée. Pour ces quatre pays, l’objectif est de mettre en synergie leurs intérêts communs tout en créant un pôle d’influence au sein de l’Union africaine (UA) pour contrecarrer certaines puissances régionales telles que l’Egypte et le Maroc.

Un contexte brûlant

Il est utile de rappeler que l’annonce de la création du G4 a coïncidé avec le retrait des troupes française du Mali. Un revirement inquiétant pour Alger, qui craint une résurgence du terrorisme au niveau de sa frontière sud en raison du vide institutionnel, politique et sécuritaire laissé par la France et ses alliés dans ce pays du Sahel. A ce moment-là le contexte africain était également dominé par le désaccord au sein de l’Union africaine au sujet de l’octroi du statut d’observateur à Israël. Alger et Pretoria s’étaient vivement opposé à la volonté du président de la Commission africaine, Moussa Faki, de garantir ce statut à Tel Aviv. Le militantisme de ces deux pays, par ailleurs adversaires du Maroc quant à la question du Sahara occidental, avait débouché sur la suspension de la procédure et la création d’un comité comprenant l’Afrique du Sud, l’Algérie mais aussi le Nigéria, le Rwanda, la République démocratique du Congo et le Cameroun.

Initié par le chef du gouvernement éthiopien, le G4 est une occasion pour Abiy Ahmed de redorer le blason de son pays et « reflète son ambition d’envoyer un message selon lequel l’Ethiopie a réussi à dépasser sa crise interne et s’apprête à jouer un rôle significatif dans l’équation régionale », décrypte l’Egyptian Center for Strategic Studies (EGSS), un think-tank arabophone basé à Istanbul qui s’intéresse principalement aux affaires égyptiennes, mais aussi aux problématiques de la région Moyen-Orient-Afrique du Nord.

Aux yeux de Rabat, le G4 est une tentative algérienne de créer un front diplomatique et économique visant à tacler l’influence marocaine sur les pays membres de l’UA. Au-delà du Sahara occidental, l’Algérie espère porter un coup dur au Maroc sur le plan économique en court-circuitant le projet de gazoduc entre le Nigéria et le Maroc, en accélérant la construction d’un autre pipeline géant, reliant les champs gaziers du sud du Nigéria à son réseau gazier avec pour objectif ultime d’alimenter le marché européen. Fin juillet, les ministres de l'énergie algérien, nigérian et nigérien ont signé un mémorandum d'entente de concrétisation de ce projet du gazoduc transsaharien (TSGP) long de plus de 4 000 km, dont le coût est estimé à plusieurs milliards de dollars.

Une alliance pertinente mais fragile

Sur le papier, le G4 représentent près du tiers de la population africaine et la contribution de ses quatre « membres » compte pour près de la moitié du budget de fonctionnement de l’Union africaine. La distribution géographique des quatre pays du groupe - l’Algérie en Afrique du Nord, le Nigéria en Afrique de l’Ouest, l’Éthiopie à l’Est et l’Afrique du Sud - lui confère une présence sur la totalité des zones d’influence du continent.

Mais l’échec de l’Algérie dans ses efforts de médiation entre l’Ethiopie d’un côté, l’Egypte et le Soudan de l’autre, ainsi que les désaccords entre les quatre pays sur certaines questions régionales existentielles - le Nigéria et l’Ethiopie entretiennent des relations assez étroites avec Israël - sont des « indicateurs qui démontrent que l’alliance ne possède pas de base solide lui permettant de fonctionner de la manière souhaitée », résume l’EGSS.