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Après un été 2021 particulièrement macabre, les autorités algériennes ont multiplié les annonces d’acquisition d’avions bombardiers d’eau pour lutter contre les incendies qui ont de nouveau ravagé le pays cette année, sans succès. Résultat : 43 morts. La faute à une gestion dictée par les humeurs d’un régime qui met le dossier du Sahara au-dessus des intérêts de sa population

L’été meurtrier de 2021 restera longtemps gravé dans la mémoire des Algériens. De Annaba à Blida en passant par la Kabylie, les feux ont tué plus de 90 personnes selon le bilan officiel, lequel est sans doute sous-estimé au regard des chiffres avancés par d’autres sources, à l’image du site d’information Twala qui évoque pas moins de 200 morts.

« L’été 2021 a été le plus meurtrier depuis l’indépendance algérienne », rapporte l’AFP. Outre les lourds dégâts humains, pas moins de 100 000 hectares de taillis sont également partis en fumée, laissant la place à des paysages de désolation.

« Plus que jamais, la lutte contre les incendies de forêt en Algérie devra être abordée avec plus de coordination et de mutualisation des efforts de tous les acteurs impliqués dans la protection des forêts. On sait que l'évolution rapide des feux de forêt nécessite un très haut niveau de réponse, en termes de moyens de contrôle, s'ils ne sont pas prévenus à leur stade initial », prévenait pourtant dès 2020 un rapport de la Commission européenne sur les feux de forêts en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique du nord.

L’été dernier, beaucoup d’Algériens ont découvert alors, médusés, que leur pays, qui consacre 5,6 % de son PIB à l’armement, ne disposait d’aucun avion bombardier d’eau. La stupéfaction est d’autant plus grande que ses voisins du pourtour méditerranéen, confrontés au même risque de feux de forêts, ont chacun une flotte de Canadair dédiée à la lutte contre les incendies, à commencer par le Maroc avec cinq avions amphibie CL 415 – auxquels se sont ajoutés trois autres en 2022 -, 16 en Italie, 12 en France ou encore 18 en Espagne - des appareils de capacités différentes utilisés dans le cadre de l’armée.

À l’absence de préparation s’est ajoutée une série d’accusations ubuesques à l’endroit du Maroc, désigné tantôt comme responsable, tantôt comme complice de la catastrophe aux côtés de membres du MAK et du Rachad, deux organisations classées comme terroristes deux mois plus tôt en raison de leur lutte pour l’indépendance de la Kabylie ou de leur activisme contre le régime militaire.

Ignorant ces accusations, le royaume avait même proposé de mettre à la disposition des autorités algériennes deux Canadair pour combattre les brasiers, une offre du Roi auquel le locataire de la Mouradia est resté sourd au mépris du bon sens, préférant faire appel à des « pays européens amis ». « À partir du 9 août, j'ai donné des instructions au Premier ministre pour contacter tous les pays européens amis pour disposer d’avions pour lutter contre les incendies, car on sait que la nature des lieux ne permet pas de les éteindre par les moyens traditionnels. Malheureusement, aucun pays n'a répondu favorablement à notre demande compte tenu du fait que tous les avions étaient mobilisés en Grèce et en Turquie », justifiait Abdelmadjid Tebboune dans une allocution en août 2021.

Le voisin de l’Est ne dut son salut en grande partie qu’à l’intervention de Paris, qui a dépêché des Canadair pour mettre fin au bilan meurtrier. C’est la fin du premier acte de la tragédie.

Aucune leçon n’a été retenue

Cet épisode douloureux devait logiquement pousser le régime algérien à se préparer à lutter contre les incendies à venir en se dotant des moyens nécessaires, les feux de forêt étant devenus, sous l’effet du réchauffement climatique, inévitables. « J’ai donné des instructions à l’armée pour prendre contact avec les constructeurs d’avions », déclarait le président algérien en août 2021. Tropisme russe oblige, le ministère de la Défense avait aussitôt entamé les négociations avec Moscou pour l’achat de quatre Beriev Be-200.

« Ces bombardiers d’eau (Be-200) réputés à l’échelle internationale, ont fait leur preuve lors de leur emploi contre les incendies de forêt qui ont touché plusieurs pays du monde et vont fortement soutenir les efforts de l’État dans la lutte contre les incendies avec l’efficacité et la rapidité requises », vantait, non sans complaisance, le site Menadéfense le 17 août, oublieux du fait qu’un Beriev s’était écrasé trois jours plus tôt en Turquie alors qu’il luttait contre des incendies, tuant les huit membres de l’équipage. Et ce n’est pas l’unique accident grave au compteur de l’aéronef russe : lors d’une intervention au Portugal en 2016, l’avion s’était accroché à un arbre qui a éventré son réservoir et endommagé son aile. Si le crash a été évité de justesse, l’image du bombardier russe a davantage été écornée.

Quoi qu’il en soit, la commande ne devrait être livrée, dans le meilleur scénario, qu’en 2023 et les bombardiers d’eau russes n’entreraient en service qu’en 2024. Afin de parer au plus pressé, les autorités algériennes se tournent alors en juin dernier vers l’entreprise espagnole Plysa pour la fourniture de sept Thrush 710P, qui ont déjà fait leur preuve lors de leur intervention en Algérie l’année dernière et dont la Gendarmerie royale marocaine est aussi équipée.

Mais ce contrat ne résistera pas aux humeurs du régime militaire algérien, qui, en réaction au soutien franc de Madrid au plan d’autonomie marocain pour le règlement du conflit du Sahara, a décidé d’utiliser toutes les cartes susceptibles de faire plier le voisin ibérique, au mépris même des intérêts de sa population. Y compris la rupture du contrat avec la société espagnole en juillet alors que les incendies venaient de faire leurs deux premières victimes, mortes asphyxiées le 15 juin dans la wilaya de Skikda.

Deux jours plus tôt, le président algérien s’était d’ailleurs donné en spectacle à la Foire internationale d’Alger (FIA) en proposant au constructeur américain Lockheed Martin de « conclure sur-le-champ », l’acquisition de C-130 Hercules adaptés à la lutte contre les incendies, comme l’ont été certains de ces gros porteurs par l’armée de l’air marocaine, précisant : « C’est urgent ! ».

Tout en multipliant les fanfaronnades et les annonces sans lendemain, Tebboune se rabat sur un Beriev Be-200 orphelin, affrété pour trois mois. « L’Algérie a connu des incendies de forêts l’année passée, nous avons mobilisé tous les moyens, et nous avons vu que les moyens dont disposait l’Algérie ne suffisaient pas face à de tels incendies d’une ampleur exceptionnelle », lance alors le ministre de l’Intérieur Kamel Beldjoud. Et d’ajouter : « Sur instructions du président de la République, Abdelmadjid Tebboune, on a été dans l’obligation d’aller chercher des affrètements à travers certains pays du monde. Il y a eu une réponse d’un pays, et aujourd’hui cet avion bombardier est ici en Algérie. »

Un remake de 2021

L’avion russe affrété, les autorités semblaient ainsi sereines. Si bien qu’elles ont même décidé en juillet de « voler au secours de la Tunisie », pour reprendre les mots du site néo-officiel TSA, qui rapporte alors que « Abdelmadjid Tebboune a ordonné l’envoi immédiat de deux gros hélicoptères appartenant à l’armée de l’air et de gros camions de la protection civile en Tunisie, afin d’aider nos frères tunisiens pour éteindre les incendies de forêt ».

Un mois plus tard, le scénario de 2021 se répète. Des incendies à El Tarf, Souk Ahras et à Sétif, dans l’est du pays, endeuillent à nouveau les Algériens. Le dernier bilan – officiel - est de 43 morts. La colère des Algériens est telle que même les soutiens les plus zélés du régime émettent des critiques du bout des lèvres. « Le plan de lutte contre les incendies de forêt au départ était bon. Mais l’annulation du contrat pour des raisons de géopolitique avec la société espagnole Plysa pour la location cet été de plusieurs bombardiers d’eau lui a mis du plomb dans l’aile », se désole le compte Twitter ALN54DZ, communicant officieux de la junte sur le réseau social.

« Il aurait fallu trouver une alternative avant d’annuler ce contrat, visiblement ça n’a pas été fait ou ça n’a pas pu se faire », admet-il. La colère est d’autant plus grande que l’avion russe décrétée par TSA « star de l’été » est tombé en panne au moment le plus critique, laissant les éléments de la protection civile impuissants face à des feux très violents, qui ont ravagé au passage 10 000 hectares d'un parc animalier au nord-est du pays classé par l'Unesco.

Le Be-200 n’a été réparé que le 21 août, selon les autorités algériennes, qui ne se sont pas attardées sur la nature de la panne. Après un an d’annonces, le seul contrat concret pour la lutte aérienne contre les incendies a été donc résilié, exposant ainsi la population à un risque inconsidéré.

Par ailleurs, contrairement à la propagande de certains médias pro-russes, le Beriev Be-200 est loin de faire l’unanimité. Conçu peu avant la chute de l’URSS en 1990, l’avion amphibie, qui a attendu 1996 pour son roll-out et 1998 pour son premier vol, n’aurait qu’un seul client : l’Azerbaïdjan.

« La consommation de carburant de l’avion russe serait élevée en basse altitude obligeant à limiter la charge utile au profit du carburant pour disposer d’une autonomie convenable. Son comportement sur feu serait rendu compliqué par ses commandes de vol électriques optimisées pour le vol en croisière qui privent donc l’équipage de certaines sensations physiques, obligeant les pilotes à garder un œil sur les instruments lors des opérations à basse vitesse et basse altitude ce qui peut être problématique en mission feu », écrivait le journaliste aéronautique français Frédéric Marsaly sur son site en 2016. Et d’ajouter : « L’avion a aussi tendance à reprendre rapidement de la vitesse au cours des passes de largage, en l’absence d’aérofreins, ce qui joue sur la précision mais surtout sur la sécurité des vols. »

 

Au vu de sa panne, les autorités algériennes sont sans doute conscientes que l’appareil n’est pas totalement fiable. En cas de résurgence des feux, Abdelmadjid Tebboune devra faire appel, comme en 2021, à Emmanuel Macron, qui vient d’ailleurs, à la veille de sa visite à Alger, de lui proposer « des moyens aériens et terrestres pour lutter contre les incendies ».