Confrontés à un fort stress hydrique, les pays d’Afrique du Nord se tournent désormais vers la désalinisation de l’eau de mer pour assurer un approvisionnement en eau potable sûr à leur population.
Depuis 2018, le Maroc traverse l’une des périodes les plus sèches de son histoire. C’est le constat alarmant dressé début décembre par le chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, qui s’est exprimé devant le Parlement : « Le volume global des précipitations ne dépasse pas 17 milliards de mètres cubes, soit le volume le plus faible enregistré au cours des cinq dernières années dans le pays », a-t-il lancé. Conséquence : la quantité moyenne d’eau disponible par habitant n’est plus que de 620 m3 aujourd’hui contre 2 560 m3 dans les années 1960, ce qui met le royaume dans une situation de « stress hydrique structurel », selon une note de la Banque mondiale publiée en juillet dernier.
Comme de nombreux pays africains, tout aussi confrontés à une pénurie d’eau, amplifiée par l’accroissement de la demande, le Maroc cherche des solutions pour sécuriser l’approvisionnement à sa population. Et pas seulement en poursuivant sa politique des barrages, une stratégie qui ne coule plus de source tant le déficit pluviométrique a fini par assécher les immenses réservoirs du royaume. Si bien que la centaine de grands barrages du pays ne contenaient, au 1er décembre, qu’à peine 4 milliards de mètres cubes, soit un taux de remplissage d’un peu moins de 24 %.
Une station au Maroc dès 1977« L’état actuel des ressources hydriques nous interpelle tous, gouvernement, institutions et citoyens. Il exige de nous un devoir de vérité et de responsabilité dans notre action pour remédier aux faiblesses et aux carences qu’elle révèle », avait d’ailleurs souligné le roi Mohammed VI, dans un discours prononcé 14 octobre, donnant ses instructions pour mettre à exécution un nouveau « programme national prioritaire de l’eau ». Vaisseau amiral du programme : la réalisation de stations de dessalement de l’eau de mer, une opération qui consiste à isoler les sels dissous de l’eau pour obtenir de l’eau douce.
Le procédé n’est pas nouveau au Maroc, pays qui revendique la position de pionnier dans la région pour avoir construit sa première usine de dessalement en 1977 dans la ville de Boujdour. Aujourd’hui, il en compte neuf, dans plusieurs localités. Seulement, elles ne représentent que 3 % du volume de production nationale. Une part pour ainsi dire dérisoire au vu des défis actuels.
« Il y a en ce moment une mobilisation générale pour accélérer la réalisation de stations de dessalement. On a pris beaucoup de retard », déclare à Jeune Afrique Charafat Afilal, ancienne ministre déléguée en charge du secteur de l’eau. C’est sous son mandat qu’un projet de station de dessalement à Casablanca, présentée comme la plus grande d’Afrique, a été lancé en 2018. D’une capacité 300 millions de mètre cubes par an, la station doit assurer, à terme, l’alimentation en eau potable de près de 7 millions d’habitants du Grand Casablanca et des zones voisines d’El Jadida-Azemmour et Settat-Berrechid. Un projet, dont les travaux sont prévus pour juin 2023, qui suscite depuis son lancement l’intérêt de plusieurs grands groupes nationaux et internationaux, comme les français Engie et Veolia, les espagnols Acciona et Abengoa, Nareva – filiale du holding royal Al Mada –, le japonais Itochu ou encore les marocains Somagec et la SGTM.
Le barrage de Tamri qui alimente toute la ville d'Agadir en eau a rarement été aussi sec, Maroc, le 6 décembre 2019.
Valentino BELLONI/Hans Lucas/AFP
Le barrage de Tamri qui alimente toute la ville d'Agadir en eau a rarement été aussi sec, Maroc, le 6 décembre 2019.
Valentino BELLONI/Hans Lucas/AFP
« L’objectif est d’arriver à une vingtaine de stations de dessalement de l’eau de mer à l’horizon 2030 », a promis, en mai dernier, le ministre de l’Équipement et de l’Eau, Nizar Baraka, lors d’une rencontre organisée par le patronat. Certaines usines devraient même entrer en service dès 2025, comme la station de Dakhla (90 000 m³ par jour) dont la réalisation a été confiée en 2019 à Nareva en consortium avec Engie pour un budget de 2 milliards de dirhams (près de 180 millions d’euros).
Dans la ville de Safi, dans l’ouest du pays, une autre station doit également sortir de terre pour produire quelque 30 millions de mètres cubes annuellement. Ainsi qu’une station de dessalement dans la région de l’Oriental, d’une capacité initiale de production de 100 millions de mètres cubes. « Un appel à manifestation d’intérêt doit être lancé prochainement pour ce projet », nous confie une source au fait du dossier. À terme, l’objectif du gouvernement est d’assurer au moins 50 % de l’approvisionnement en eau potable à partir de la technique du dessalement.
Objectif : 42 % d’eau dessalée en 2024Le Maroc n’est pas le seul pays dans la région à se tourner vers cette ressource alternative. Touchée par le phénomène de raréfication de l’eau dès les années 1990, l’Algérie a très tôt misé sur l’utilisation des ressources non conventionnelles, au premier rang desquelles le dessalement de l’eau de mer, afin de desservir en eau potable ses zones côtières. « L’Algérie a très bien avancé depuis trente ans, même s’il y a peu de données publiques actualisées sur le volume de production de ses stations de dessalement », estime un spécialiste qui a accompagné de nombreuses stratégies hydriques en Afrique du Nord.
Dès 2023, les autorités algériennes ont élaboré un plan visant la construction de 13 stations de dessalement dotées d’une capacité totale de 2,31 millions de m³ par jour, soit 850 millions de m³ par an. De quoi approvisionner quelque 8 millions d’habitants. Selon les données du ministère algérien de l’Énergie, 11 stations desservaient, à fin 2018, quelque 8 millions d’habitants à Alger, Oran, Skikda, Tlemcen, Boumerdès, Tipaza, Mostaganem, Ain Temouchent et Chlef.
Des capacités qui se sont renforcées depuis, à en croire le président Abdelmadjid Tebboune qui a assuré, en novembre, lors d’un Conseil des ministres, que l’Algérie produit plus de 2,7 millions de m³ par jour. En mai dernier, le gouvernement a décidé de passer à la vitesse supérieure en confiant à l’Algerian Energy Company (AEC) la réalisation de cinq nouvelles stations dotées chacune d’une capacités de 300 000 m³ par jour. « L’Algérie a adopté une stratégie pour la réalisation des stations de dessalement d’eau de mer en vue de garantir la production d’eau et d’assurer son autonomie grâce aux eaux des barrage », a déclaré en mai le ministre algérien de l’Énergie, Mohamed Arkab, affirmant que la mise en exploitation des cinq nouvelles unités, prévue en 2024, porterait la capacité globale de production d’eau dessalée à 42 % – contre 17 % actuellement. En 2030, promet-il encore, l’Algérie comptera en tout 25 stations de dessalement contre 14 (en mai).
Des programmes pharaoniquesÀ l’image de ses voisins, la Tunisie dispose d’une myriade de petites stations de dessalement, et d’ouvrages plus importants situés à Djerba (50 000 m³ par jour, extensible à 75 000 m³), à Skhira (12 000 m³ par jour), en plus d’une unité de désalinisation d’eau saumâtre [une eau non potable dont la salinité est inférieure à celle de l’eau de mer] à Gabès doté d’une capacité de 30 000 m³. En tout, l’ensemble des stations génèrent une production de 200 000 m³. Tout aussi affecté par le stress hydrique, le pays du jasmin multiplie les partenariats pour doubler sa capacité de production.
Le barrage de Nebeur, construit sur l'oued Mellègue, en Tunisie, le 24 décembre 2017.
Thierry Monasse/Getty Images
Le barrage de Nebeur, construit sur l'oued Mellègue, en Tunisie, le 24 décembre 2017.
Thierry Monasse/Getty Images
Dernier projet en date : une station de dessalement de l’eau de mer dans le sud, qui nécessitera un investissement de 600 millions de dollars (près de 567 millions d’euros). Dotée d’une capacité de 200 000 m³, elle sera réalisée par la société britannique Solar Water PLC, dont les responsables ont été reçus le 1er décembre par le ministre de l’Économie et de la Planification, Samir Saïed. L’Égypte n’est pas en reste. Dépendant essentiellement des eaux fluviales du Nil, le pays aux 104 millions d’habitants entend diversifier ses ressources. Début décembre, le patron du Fonds souverain égyptien, Ayman Soliman, a annoncé un gigantesque programme de 21 stations de dessalement de l’eau de mer appelé, dès 2025, à produire 3,3 millions de m³ (contre 800 000 actuellement). Le tout pour un budget de 3 milliards de dollars. Un marché qui intéresserait, selon le PDG du fonds, 200 groupes de 35 pays.
« Le dessalement est maintenant une solution incontournable pour produire de l’eau potable. D’autant que la technologie devient de plus en plus accessible pour les pays du continent », juge Charafat Afilal. L’expérience marocaine en témoigne : dans la première station de Boujdour, construite il y a 45 ans, le coût du mètre cube est 50 dirhams (4,50 euros) contre moins de 7 dirhams pour les nouvelles stations, comme celle d’Agadir.
Vers la démocratisation de la technologieDe nouvelles techniques promettent même de révolutionner le dessalement de l’eau de mer. C’est le cas de la membrane nanoscopique mise au point par Patrick Senet et Adrien Nicolai, deux chercheurs de l’Université de Bourgogne, décrite comme plus résistante et moins énergivore, un atout majeur quand on sait que l’électricité constitue de 40 à 45 % du coût de production de l’eau dessalée. « La membrane que nous avons étudiée est ultra-fine, de l’épaisseur de quelques atomes et hyper-sélective car percée de pores de dimensions extrêmement petites (nanomètre ou en dessous du nanomètre) permettant de laisser passer les molécules d’eau mais pas les ions du sel, qui sont plus gros que les molécules d’eau. C’est donc le nano-filtre parfait. Mais dans sa conception actuelle, c’est un prototype de laboratoire. Des recherches doivent être encore menées pour appliquer de telles membranes au dessalement », expliquent à Jeune Afrique laboratoire interdisciplinaire Carnot de Bourgogne. Selon l’ancienne ministre marocaine en charge de l’eau, le dessalement de l’eau devrait peu à peu se généraliser sous l’effet de l’abaissement du coût de production. « En 2025, le mètre cube devrait coûter 0,16 dollar », dit-elle citant une étude exposée en Arabie saoudite en septembre lors d’une conférence sur l’avenir de l’industrie du dessalement. B.Mo.