Projet massif d´Energie Solaire-Eolien

Alors que les promoteurs de l’ambitieux projet de liaison électrique devant relier la région de Guelmim-Oued Noun au sud du Royaume-Uni continuent de mener tambour battant leur campagne de communication pour convaincre autant l’opinion britannique que les investisseurs sur l’idée, la faisabilité et les bienfaits d’Xlinks, c’est un tout autre débat qui émerge au sein de l’Exécutif britannique, apprend-on des médias anglais.

Le concept de connexion des abondantes sources d'énergie renouvelable d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient avec les centres à forte demande d'Europe date de plus d'une décennie. Des politiciens et des entrepreneurs avaient promu l'idée par le biais de la Fondation Desertec dès 2009. Mais les préoccupations concernant les coûts et la sécurité ont entravé son adoption. En cause principalement, l’instabilité politique qui règne dans la région.

La menace d'attentats terroristes attise la peur. Les services publics ont présenté des cibles de choix pour les organisations extrémistes violentes au cours des 40 dernières années, et les attaques annuelles contre ces installations ont été multipliées par plus de 350 au cours de la dernière décennie, selon le Global Terrorism Index.

Bien que le Maroc soit perçu comme un ilot de stabilité en Afrique du Nord, les politiques anglais demeurent dans l’expectative et leur décision de soutenir ce mégaprojet prend désormais en compte ces questions d’exposition à un risque de dépendance énergétique (8 % de la demande à satisfaire pour Xlinks), la guerre en Ukraine et ses effets sur les liaisons gazières Nord Stream avec la Russie étant présents dans tous les esprits.

Le Pr Karen Smith Stegen, experte en politique des énergies renouvelables à l'Université Jacobs relativise ces dangers. Elle affirme dans la presse londonienne que les inquiétudes concernant le terrorisme seraient minimisées une fois que les pays auraient développé divers réseaux d'interconnexions. Même si le système Maroc-Royaume-Uni échouait pour une raison liée au risque politique (attaque terroriste, mesure de rétorsion etc.), le Royaume-Uni pourrait compter sur ses autres sources d'énergie en courant continu haute tension (CCHT ou HVDC en anglais), comme la Norvège, la France et (bientôt) l'Allemagne. S'il n'était pas en mesure de le faire, les centrales à base de combustibles fossiles « dormantes » pourraient démarrer en un temps record pour prendre le relais. Même les organisations terroristes dotées de moyens financiers conséquents comme Al-Qaida n'ont pas les capacités nécessaires pour faire tomber tout un réseau, tempère Smith Stegen.

La menace qu'un pays partenaire abuse d'une interconnexion à des fins politiques est, pour l'instant, également minimisée car les systèmes CCHT « fonctionnent plus comme des flux que comme des robinets ». « Le problème avec l'électricité, c'est qu'il est en fait difficile de simplement l'éteindre », déclare Smith Stegen. « L'électricité générée doit aller quelque part, à moins que vous n'ayez un stockage massif, ce qui a toujours été un problème ».

Des solutions efficaces de stockage à long terme de l'hydrogène vert pourraient changer cette donne. Les gouvernements dits « hostiles » pourraient saisir les sites de production et stocker l'énergie excédentaire pour une utilisation ultérieure, selon l’experte. Mais elle pense que les politiciens feraient mieux de s'inquiéter de la vulnérabilité des systèmes HVDC aux cyberattaques. Elle a évoqué les récentes coupures de courant en Inde causées par l'infiltration de la Chine dans son réseau. « Il semble que toutes ces infrastructures énergétiques et électriques soient très vulnérables », prévient-elle

A l’été 2021, Xlinks avait choisi de botter en touche pour ne pas court-circuiter son opération de lancement. “L’emplacement du projet ne se trouve pas dans les territoires contestés, tels que définis par l’ONU”, répondait la start-up britannique interrogée par TelQuel.

La prudence alors affichée par l’entreprise dirigée par Simon Morrish n’avait rien d’anodin. Il s’agissait d’offrir la plus grande exposition médiatique à un mégaprojet dont l’échéancier, les acteurs et les chiffres semblaient le promettre à une belle réussite sur le papier.

Chiffré à 22 milliards de dollars (200 milliards de dirhams), le projet envisage de construire sur 1500 km2, dans la région de Guelmim-Oued Noun, une ferme solaire et un parc éolien qui devront fournir à terme 3,6 GW d’électricité.

Sur cette surface foncière déjà octroyée par l’État marocain, Xlinks entend installer près de 12 millions de panneaux solaires et 530 éoliennes. Adossé à l’installation d’une batterie de 5 GW pour stocker l’énergie, ce parc permettrait d’injecter 10,5 GW d’électricité dans le réseau du Royaume-Uni, ce qui est suffisant pour assurer 8 % de la demande intérieure et alimenter 7 millions de foyers britanniques.

Un câble déployé depuis le Sahara…

Une manière d’anticiper un potentiel écueil ? En tout cas, un mois avant que la start-up britannique ne livre les détails de son mégaprojet, une procédure initiée par le Polisario est venue le menacer jusque dans les prétoires au Royaume-Uni.

À la mi-juin 2021, la Haute Cour d’Angleterre et du Pays de Galles avait accepté le recours présenté par l’ONG Western Sahara Campaign UK. Sa requête réclamait le retrait des produits issus du Sahara de l’accord d’association conclu en octobre 2019 entre le Maroc et le Royaume-Uni.Jusque-là très évasive sur les lieux d’implantation au Maroc de son projet, Xlinks s’est limitée à désigner la région Guelmim-Oued Noun, sans plus de précision. Ce blanc dans la communication de la start-up britannique va être rempli par Mbarka Bouaida dans une interview accordée cette semaine à nos confrères d’Al Jazeera.

Détaillant la localisation exacte du projet dans la région dont elle est la présidente, l’ex-ministre déléguée auprès du ministre des Affaires étrangères indique que les installations de la ligne d’interconnexion seront situées dans les communes d’Al Mahbès, Lamssid et Chbika, soit dans des provinces du sud du royaume.

Lamssid, relevant de la province d’Assa-Zag, et Chbika, rattachée à la province de Tan Tan, sont toutes deux situées sur la façade atlantique du Maroc. En raison de leur exposition au rayonnement solaire, mais aussi aux alizés, elles paraissent indiquées pour abriter le parc à éoliennes.Relevant quant à elle de la province d’Assa-Zag, la commune d’Al Mahbès semble idéale pour que les panneaux photovoltaïques puissent capter le potentiel du désert marocain et le convertir en électricité exportable. Cette électricité ainsi produite dans le désert sera acheminée du Maroc vers le Royaume-Uni via un système de quatre câbles sous-marins de 3800 km de long chacun, en eaux profondes, et qui devront traverser l’Espagne, le Portugal et la France.

Selon l’échéancier prévu, Xlinks prévoit la mise en service de la première ligne d’interconnexion électrique entre les deux royaumes en 2027, et les trois autres en 2029. Le premier câble haute tension à courant continu (HVDC) pourrait être déployé depuis Al Mahbès dès 2025. Suivront deux années de test pour que la plus longue ligne d’interconnexion électrique au monde soit déployée depuis le Sahara.

…menacé par un procès intenté par le Polisario

Premier officiel marocain à se prononcer publiquement sur le projet, Mbarka Bouaida attire les projecteurs sur sa région. À contrepied de la réserve affichée par Xlinks, sa sortie médiatique intervient au moment même où la justice britannique se penche sur la requête de la Western Sahara Campaign UK.

Le 5 octobre dernier, la Haute Cour d’Angleterre et du Pays de Galles a reçu les plaidoiries écrites du gouvernement britannique et de l’ONG pro-Polisario. Cette dernière souhaite reprendre à son compte la jurisprudence de l’arrêt rendu en septembre 2021 par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE).

En première instance, le Tribunal de l’UE s’était prononcé en faveur du Polisario pour exclure de l’accord UE-Maroc de janvier 2019 les produits issus du Sahara. Mais l’UE avait fait appel de cette décision qui s’applique jusqu’à la délivrance d’une décision en deuxième instance attendue en fin d’année.

Si la justice britannique n’a pas encore tranché, les explications de Mbarka Bouaida devraient s’inviter dans le plaidoyer de Xlinks auprès des autorités gouvernementales britanniques. Depuis fin septembre dernier, le gouvernement britannique examine la proposition de Xlinks pour une subvention publique afin de maintenir à un prix fixe l’électricité qu’elle produira au Maroc.

Autant dans le procès que dans les négociations, l’implantation du projet dans la commune d’Al Mahbès se posera. Bordant l’est du mur de sable, cette commune située à 100 km de Bir Lahlou et à 70 km de Tindouf s’est fortement militarisée ces derniers mois.

En raison d’incursions épisodiques du Polisario, la présence des FAR s’est un peu plus accrue dans cette localité qui était incluse, pour la deuxième année consécutive, dans la 18e édition de l’exercice African Lion. Pour les États-Unis, la tenue de cet exercice interarmées maroco-américain vient en prolongement de leur reconnaissance de la marocanité du Sahara.

Côté britannique, ce sont les bases juridiques mêmes de la coopération entre le Maroc et le Royaume-Uni post-Brexit qui sont menacées par ce procès devant la Haute Cour. Le verdict de ce tribunal de première instance pourrait aussi compromettre sinon retarder sérieusement des projets énergétiques entre les deux royaumes, dont celui du plus long câble électrique du monde.