Actualités du Sahara Marocain

La fuite d’un enregistrement audio de Bachir Mustapha Sayed, « ministre-conseiller à la présidence » du Polisario, met la lumière sur les dissensions qui agitent le mouvement séparatiste sahraoui, affaibli par l’atomisation de ses centres de décision et écartelé par ses obédiences aux différents clans de la junte militaire d’Alger

La course au leadership et autres guerres de clans divisent profondément le Polisario. C’est un secret de polichinelle que même les cadors du mouvement séparatiste sahraoui ne cachent plus, comme en témoigne un enregistrement audio Bachir Mustapha Sayed. S’adressant à une assistance composée de fidèles, le « conseiller à la présidence » tient Brahim Ghali pour seul responsable de la débâcle du Polisario depuis sa rupture unilatérale du cessez-le-feu avec le Maroc suite aux événements de Guergarat fin 2020.

« Le président a toutes les prérogatives », lance le frère du fondateur du Polisario, El Ouali Mustapha Sayed à ses ouailles, déplorant au passage la dissolution de la « Commission exécutive », remplacée depuis les années 1990 par le « Secrétariat général », qui ne dispose, selon lui, d’aucun pouvoir. Pour Bachir Mustapha Sayed, la défaite du mouvement ne s’explique pas tant par l’arsenal militaire vétuste dont il dispose que par le manque d’encadrement et d’entraînement des troupes, selon l’échange que nous avons écouté.

« Je vous le jure, on a tous les moyens pour les combattre avec des armes de tous types. Des armes comme celles dont disposent des puissances, en plus des moyens traditionnels. Mais il faut savoir bien les manier », reproche-t-il au chef du mouvement séparatiste Brahim Ghali, coupable à ses yeux du d’avoir découragé des « bénévoles » à prendre les armes.

Que cache cet enregistrement ?

La réunion et la fuite de l’enregistrement interviennent dans un contexte particulier, marqué notamment par l’absence du chef du Polisario de la scène médiatique mais aussi par de profondes divisions. « L’enregistrement et sa fuite traduisent les conflits internes qui traversent la direction du Polisario et la crise de leadership dont souffre le mouvement compte tenu de la dégringolade de Brahim Ghali, depuis notamment le scandale de son hospitalisation sous une fausse identité en Espagne et les procès intentés contre lui pour des faits très graves (meurtres, tortures, viols…). L’image de la direction du Polisario s’est encore affaiblie, ce qui a eu pour conséquence une multiplication des centres de décision », décrypte pour Le Desk Mohamed Salem Abdelfattah, chroniqueur et chef de l'Observatoire sahraoui des médias et des droits de l'Homme.

C’est aussi la manifestation de cette guerre de clans qui déchire le mouvement depuis quelques années et dont le paroxysme fut une série de manifestations impliquant parfois des responsables sécuritaires. « On ne peut pas en effet dissocier cet enregistrement des développements sur le terrain dans les camps de Tindouf, comme l’affrontement entre clans et les manifestations à caractère tribal menées parfois par de grandes figures du mouvement, comme celle dirigée par Mohamed Lamine Bouhali, qui fait partie des cadors de la sécurité du Polisario, très proches de l’Algérie », poursuit Mohamed Salem Abdelfattah, ancien habitant de Tindouf qui a regagné le Maroc en 2015.

Pour ce fin connaisseur du Polisario, les alliances au sein du mouvement se font et se défont au gré de certains changements au sein du régime algérien, lui-même rongé épisodiquement par des guerres intestines. « On peut aussi lier la teneur de cet enregistrement à l’appareil sécuritaire algérien dans la mesure où les allégeances des dirigeants du Polisario sont partagées entre les appareils sécuritaires et militaires algériens. Comme il y a un bras de fer entre des clans sécuritaires en Algérie, qui s’est intensifié depuis notamment la libération du général Toufiq [Mohamed Mediène, ancien patron du Département du renseignement et de la sécurité, DRS-renseignement militaire, ndlr] et le retour en grâce du général Khaled Nezzar [ancien ministre de la Défense, ndlr], chacun des dirigeants du Polisario essaie de se positionner par rapport à ce bras de fer », affirme-t-il.

Le rôle de l’Algérie dans la rupture du cessez-le-feu

L’Algérie a-t-elle joué un rôle dans la décision du Polisario de rompre le cessez-le-feu en 2020 ? Pour Mohamed Salem Abdelfattah, il n’y a pas de doute. Dans l’enregistrement, Bachir Mustapha Sayed dit d’ailleurs que, sous Abdelaziz Bouteflika, l’Algérie aurait dissuadé son protégé de déclencher toute escalade. « C’est donc elle qui a donné ensuite le feu vert au Polisario pour faire en sorte de rompre le cessez-le-feu », déduit notre interlocuteur.

Et d’ajouter : « L’enregistrement révèle aussi que l’analyse à partir de laquelle le Polisario a rompu le cessez-le-feu s’est révélée totalement fausse. Bachir Mustapha Sayed dit que la décision n’a pas été étudiée, que le Polisario n’était pas prêt et que l’escalade n’a pas donné les résultats escomptés à cause de Brahim Ghali. »

Bachir Mustapha Sayed cherche-t-il, à travers cette sortie, à se positionner pour succéder à Brahim Ghali ? C’est la lecture du chroniqueur : « Il veut marquer sa présence à quelques mois du congrès du Polisario, qui devrait se tenir en décembre prochain. C’est une étape importante pour la lecture des événements actuels. Il essaie de s’imposer comme adversaire de Brahim Ghali et futur leader. »