Bayraktar TB2 pour les FRA

Fantasmée ou réelle, son efficacité a inspiré à la Zbroyni Syly, les forces armées ukrainiennes, la composition d’une haka guerrière pour galvaniser ses troupes. Pour louer son apport dans la résistance à l’offensive russe menée depuis le 24 février dernier, l’armée ukrainienne a composé en langues turque, anglaise et ukrainienne une chanson pour le drone Bayraktar TB2 en provenance de Turquie.

“Les envahisseurs sont venus à nous en Ukraine (…). Leurs arguments : différentes armes, de puissantes fusées et de la technologie d’intervention. Nous n’avons qu’un commentaire à leur répéter : Bayraktar, Bayraktar !”, reprend inlassablement le refrain de la chanson de l’armée ukrainienne.Force de frappe russe

Propagande ou apport réel ? Toujours est-il qu’au septième jour de son “opération spéciale” en Ukraine, menée avec les tirs en rafales de ses chars T-90, de ses lance-roquettes BM-21 Grad, de ses hélicoptères d’attaque Kamov Ka-52, de ses missiles balistiques Iskander, l’armée fédérale russe a déployé une impressionnante force de frappe armée et technologique. Celle-ci lui a permis de prendre possession des villes ukrainiennes de Mariupol (nord-est), Kherson (sud), Kharkiv (est) et à une colonne blindée de 25 km de long, équipée de lance-roquettes TOS-1A, de faire route vers Kiev.

“Tout ce qui reste à l’armée ukrainienne, ce sont des actions de guérilla urbaines et des lance-missiles portés à bout de bras”

“On a pu voir comment l’offensive russe en Ukraine est rondement menée avec une attaque par missile, suivie d’une opération aérienne appuyée par un assaut de parachutistes avant que l’action blindée ne se déploie. L’objectif des missiles était d’anéantir toutes les installations de défense aérienne ennemies pour paralyser leur capacité à faire face aux troupes terrestres et préparer le terrain aux divisions blindées”, résume avec inquiétude une source bien introduite contactée par TelQuel.Pour notre interlocuteur, si on a pu noter des lacunes, notamment des insuffisances logistiques, des pertes ou abandon de matériel par manque de fioul ou provisions, l’offensive russe a atteint l’essentiel de ses objectifs. “La défense aérienne ukrainienne a été anéantie face à la force de frappe russe. Son aviation complètement absente, ou ce qu’il en reste, a été convoyée vers la Roumanie et la Pologne, car les aérodromes et les bases militaires ukrainiennes ont été rendus inutilisables au moins à 90 ou 95 %. Tout ce qui reste à l’armée ukrainienne, ce sont des actions de guérilla urbaines et des lance-missiles portés à bout de bras”, clôt notre source. Malgré l’impact de la salve, la résistance ukrainienne s’organise pourtant autour d’une carte maîtresse : le Bayraktar TB2.

Bayraktar TB2, le fil à retordre de la Russie en Ukraine

Le 27 février dernier, Valery Zaluzhny, le commandant en chef de l’armée ukrainienne, a publié une vidéo montrant la destruction d’un site de lancement de missiles russe par les tirs d’un Bayraktar TB2, un drone armé qui peut être affecté à des missions de surveillance, de renseignement ou d’élimination de cibles, directement sorti des manufactures de Bayraktar Makina.

Cette entreprise présidée par le gendre du président turc Recep Tayyip Erdogan est le nouveau fleuron de l’industrie turque de l’armement, le produit d’appel qui propulse la Turquie à la dixième place du classement mondial des armuriers.“Le seul élément qui donne du fil à retordre aux Russes, ce sont les drones Bayraktar turcs. Même faiblement armés, ces derniers ont montré une efficacité redoutable face aux BUK-M de l’armée russe. Les images vérifiées qui nous parviennent jusque-là montrent qu’ils font des ravages dans les colonnes blindées et les unités de défense aérienne russes. Médiatiquement et commercialement en tout cas, cela porte un coup à l’industrie militaire russe à l’export”, relève pour sa part Abdelhamid Harifi, chercheur sur les questions de défense, interrogé par TelQuel.

En 2019 déjà, un contrat de 61 millions d’euros passé avec la Turquie avait permis à l’Ukraine d’acquérir six de ces drones de croisière, capables de voler pendant 27 heures à une altitude de 8 km. Filant à une vitesse de 220 km/h, le Bayraktar peut transporter jusqu’à 4 missiles d’une charge explosive de 10 à 15 kg et est capable de les tirer avec précision sur des cibles désignées. Convaincue par cette première commande, l’Ukraine avait formulé le vœu en septembre 2021 d’acquérir 24 Bayraktar TB2, soit la moitié de sa wish-list envoyée un an plus tôt à la Turquie.

Le rapprochement turco-ukrainien avait d’autant plus déplu au Kremlin que lors d’une conversation téléphonique en décembre 2021, Vladimir Poutine, le président russe avait qualifié de “provocatrice” et “destructrice” la première livraison turque à l’armée ukrainienne.

N’en déplaise au président russe, Bayraktar Makina n’a pas attendu l’offensive russe pour offrir une vitrine commerciale à l’export à son TB2. Ses aéronefs sans pilote équipent les armées du Rwanda, du Qatar, de l’Éthiopie, du Turkemenistan, de l’Azerbaïdjan, de la Libye, de la Pologne ou encore du Pakistan et tisonnent l’appétit des armées du monde entier.

Le Maroc, premier client du game-changer turc en Afrique

Lors de la guerre du Haut-Karabakh entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie en septembre 2020, les Bayraktar turcs auraient été un avantage décisif pour les forces azéries, notamment en causant des dommages importants en Arménie malgré leurs équipements aériens et antidrones essentiellement russes.

Des éléments des FAR ont été envoyés à Ankara pour des formations au pilotage des drones conçus et développés par Baykar

Au-delà de son aspect tragique, ce conflit est devenu un cas d’école pour les armées du monde et la létalité du drone développé par Baykar Makina est devenue sa meilleure publicité. Le conflit en Ukraine prolonge cette réputation dans les cellules de veille et d’analyse des stratégies et armes de guerre partout dans le monde.

Sous nos cieux, le Maroc occupe la “position de premier client africain du TB2” selon le site Africa Intelligence qui rapportait en décembre 2021 l’acquisition par le royaume de six nouveaux drones Bayraktar TB2. Après la livraison d’un premier lot de treize drones Bayraktar TB-2 en septembre 2021, le Maroc a passé une nouvelle commande de six nouveaux appareils.

Depuis, plus d’une vingtaine de ces drones turcs font partie de l’arsenal des Forces armées royales (FAR), et le royaume s’apprêterait à renforcer sa flotte de drones turcs pour atteindre une trentaine d’appareils pour un montant total de 200 millions de dollars. Dans le cadre de ce contrat bilatéral avec la Turquie, des éléments des FAR ont été envoyés à Ankara pour des formations au pilotage des drones conçus et développés par Baykar.

De quoi conforter le royaume dans son projet de puissance montante du drone, avec ses acquisitions en provenance des États-Unis, de Chine, de Turquie, et le projet de création d’une industrie de drones à vocation exportatrice avec Israël.

Une dissuasion efficace contre l’Algérie…

L’appétit du Maroc pour les drones vise d’abord un effet dissuasif face à l’Algérie qui a entrepris le déploiement à la frontière commune de lance-missiles pointés vers le royaume, et des travaux d’agrandissement de sa base militaire de Tindouf.

Si le Maroc y a répondu par l’opérationnalisation de la Zone Est, sa défense antiaérienne sans cesse fortifiée reste encore à blinder face à sa voisine équipée en missiles S-300, S-350E et, bientôt, des S-400, mais aussi en systèmes de défense anti-aérienne avec des Pantsir-S1/SM, Buk-M2 et Tor-M2, du matériel essentiellement russe.Pour autant, l’efficacité chantée du Bayraktar peut-elle être un “game-changer” pour conférer au royaume une avance technologique sur un voisin de plus en plus menaçant ? Pour Abdelhamid Harifi, même si l’utilisation du drone turc a changé la donne dans les nouveaux conflits comme au Haut-Karabagh ou en Ukraine, les enseignements que le Maroc peut tirer de la crise ukrainienne dépassent le TB2.

“En raison de liens historiques et même personnels, l’Algérie – ou en tout cas les leaders de son armée — partage avec la Russie la même doctrine militaire dans l’emploi d’un matériel essentiellement russe. C’est l’une des premières leçons à tirer de cette guerre qui se passe sous nos yeux en Ukraine”, relève le chercheur.

“Le Maroc a fait un effort considérable pour s’équiper en missiles Barak israéliens et Patriot américains pour contrer la menace des Iskander qui équipent l’armée algérienne. Mais le Maroc doit aussi se préparer en renforçant davantage sa défense anti-aérienne courte, moyenne et longue portée, complétée par une aviation qui, en plus de chasseurs multifonctions, se doterait d’intercepteurs capables de défendre sa souveraineté aérienne”, plaide le chercheur.

… qui reste à compléter

L’idée du renforcement de l’espace aérien a commencé à germer il y a bientôt une décennie, en parallèle d’un ambitieux programme de modernisation de l’armée et de l’arsenal des FAR. À l’achat de lance-roquettes AR2 PHL03 très longue portée en 2010, sont venus s’ajouter la batterie FD-2000B ou encore le Sky Dragon 50 moyenne portée acquis auprès de la Chine.

“L’aviation marocaine est performante (…) mais elle assurerait difficilement la supériorité aérienne en cas de conflit d’envergure avec l’Algérie”

Pour bétonner son espace aérien et protéger ses installations stratégiques, le Maroc a aussi acquis des missiles Barak MX et des systèmes de drones ou anti-drones auprès d’Israël. Les drones qui équipent les FAR viennent aussi de Chine ou de Turquie pour compenser la livraison retardée de missiles Patriot américains.

Un projet de renforcement efficace pour rétablir l’équilibre des forces avec l’Algérie, mais loin d’être suffisant. “L’aviation marocaine est performante comparée à celle du voisinage ou même à un niveau continental, mais elle assurerait difficilement la supériorité aérienne en cas de conflit d’envergure avec l’Algérie. Il lui faut maintenant acquérir une aviation suffisamment dissuasive, cela devient une nécessité si le Maroc aspire encore à devenir une puissance à l’échelle continentale”, revient encore Abdelhamid Harifi.

L’analyste voit encore plus grand pour le royaume : “Le Maroc doit s’équiper en missiles balistiques ou de croisières capables d’être lancés à partir de l’aviation ou des unités navales des FAR. Cela permettra d’envoyer le message au camp d’en face que leurs installations stratégiques sont à la portée de ces outils de dissuasion que le Maroc aura acquis.” Alors seulement, la riposte serait à la hauteur de l’éventuelle attaque, et le rapport de forces serait renversé au profit du Maroc.

Un drone turc Bayraktar TB2. Le Maroc en a commandé jusqu’ici une vingtaine d’exemplaires au fabricant Baykar Makina. DR

Le Maroc avait en avril 2021 commandé 13 drones armés Bayraktar TB2 ainsi que quatre stations de pilotage au sol. Deux mois après la réception de ses premiers exemplaires, les Forces Royales Air (FRA) s’apprêtaient déjà à passer une nouvelle commande d’au-moins six nouveaux appareils auprès du fabricant turc Baykar Makina, s'assurant ainsi une nette suprématie régionale dans le domaine de l'invisible

Un C-130H-LM Hercules des Forces Royales Air (FRA) immatriculé CN-AOJ a effectué une visite au centre de test et de transbordement des drones Bayraktar à Tekirdağ Corlu Atatürk en Turquie le 29 avril. L’avion de transport militaire a redécollé environ 7 heures après son arrivée, selon des sources spécialisées.

Les dernières visites de C-130 marocains sur le site du fabricant Baykar Makina datent de décembre dernier (trois à la mi-décembre et le dernier le 31 décembre).

Pour rappel, le Maroc avait en avril 2021 commandé 12 appareils Bayraktar TB2 (plus un treizième de rechange) ainsi que quatre stations de pilotage au sol. Le rythme des rotations des gros-porteurs des FRA coïncide ainsi avec celles des livraisons partielles, mais aussi de l’envoi en formation des pilotes d’UAV.Le drone TB2 de conception et de fabrication turque acquis par le Maroc. Infographie: Mohamed Drissi K. / Le Desk
Fin 2021, soit à peine deux mois après la réception de ses premiers exemplaires de TB2, l’armée royale s’apprêtait déjà à passer une nouvelle commande auprès du groupe Baykar. Ce second contrat portait sur un lot minimum de six nouveaux appareils, portant ainsi la flotte d’attaque à une vingtaine de drones armés ayant fait preuve de leurs capacités sur plusieurs théâtres de guerre, dans le Caucase, plus récemment en Ukraine face aux colonnes de blindés russes, mais aussi très probablement sur le territoire du Sahara Occidental où des frappes contre des convois de camions et de pickups sont régulièrement dénombrées. Les Forces Armées Royales (FAR) y ont imposé une suprématie des airs payante de « no go zone » pour interdire toute incursion des milices armées du Polisario.

L’Algérie, qui s’est dotée de drones bien avant le Maroc, a cependant pris du retard dans le domaine dit de l’invisible : ses drones chinois (CH-3 et CH-4) connaissent de sérieux problèmes de fiabilité et de maintenance, tandis que les Al Djazaïr 54 assemblés en Algérie –  en réalité une version locale de l’United 40 fabriqué par la société émiratie Adcom Systems –  ont aussi beaucoup déçu l’état-major de l’Armée nationale populaire (ANP), expliquait Africa Intelligence.