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ENTRETIEN. Arrivé en tête au premier tour des élections législatives françaises dans la 9ème circonscription des Français établis à l’étranger, dont le Maroc est l’épicentre, le candidat de la Nupes, Karim Ben Cheikh propose un changement de cap et critique le projet de la continuité incarné par la candidate de la majorité présidentielle Élisabeth Moreno
C’est le duel attendu du second tour des élections législatives des Français de l’étranger : celui qui verra s’affronter Karim Ben Cheikh et Elisabeth Moreno pour la 9e circonscription, couvrant l’Afrique du Nord et l’Afrique de l’Ouest et dont le Maroc est l’épicentre.

Parvenu en tête avec 39,99 % des voix, le candidat de la « Nouvelle Union populaire écologique et sociale » (Nupes) et grand favori, l’ex-diplomate Karim Ben Cheikh, ancien consul général de France à Beyrouth après avoir exercé en ambassade au Maroc et aux Etats-Unis comme conseiller Afrique, y affrontera l’ex-ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes Elisabeth Moreno, membre de la majorité « Ensemble ! », arrivée en deuxième position au premier tour avec 28 % des suffrages.

Vous êtes arrivé en tête au premier tour devant Élisabeth Moreno avec un écart de plus de 2 000 voix. Vous attendiez-vous à un tel résultat ?

Ce que je sais, c’est qu’il y a une très grande dynamique aussi bien en France qu’à l’étranger. Le deuxième tour pour les Français établis hors de France a montré qu’il y a la Nupes d’un côté et la majorité sortante de l’autre. Il y a un clivage qui s’est installé sur les circonscriptions des Français établis hors de France. Quant aux résultats me concernant, je remercie les électeurs qui m’ont fait confiance. Cela fait six mois que je suis sur le terrain. J’ai fait plus de 22 villes dans la circonscription et énormément de réunions dans sept pays pour aller à chaque fois à la rencontre des électeurs. Je pense que c’est le résultat d’un long travail de terrain entamé il y a des mois.

Vous vous êtes lancé dans la course aux législatives bien avant que l’union de la gauche ne soit décidée. Il était pour vous évident que les partis de gauche devaient s’unir ?

Nous sommes toute une génération à aspirer depuis des années à l’union de l’ensemble de la gauche et des écologistes. Dans la 9ème circonscription, cela fait des mois que nous avons réussi à faire l’union de tous les élus locaux de la gauche et des gens sans appartenance partisane mais qui se savaient ancrés à gauche. C’est ainsi que nous avons fait cette union dans la circonscription avant même qu’elle se fasse en France. Au final, on est très heureux que l’union soit soutenue par cette dynamique qui ambitionne d’avoir véritablement une majorité en France. Vous le voyez bien, cette dynamique formidable a été confirmée par les premiers votes dans les circonscriptions des Français établis hors de France. Je souhaite qu’elle soit maintenant confirmée par la dynamique qui est en train de se passer le territoire français.

Qu’est-ce qui ressort de ces mois de rencontres et de travail sur le terrain. Que réclament globalement les Français de l’étranger ?

Que ce soit à Ouagadougou, à Abidjan ou à Casablanca, pour ne citer que ces villes, il y a des préoccupations communes qui reviennent. Parmi elles, il y a le démantèlement du service public, c’est-à-dire que, sur les dix dernières années, les consulats et les services consulaires ont perdu la 30 % de leurs équipes, ce qui les contraint à rendre moins de services publics, non pas par manque de volonté ou de temps mais simplement par manque d’effectifs. C’est une réalité et les Français le ressentent tous les jours.

L’éducation est une préoccupation majeure aussi. On se retrouve dans une situation où nous avons des Français qui sont exclus pour des questions financières. Il faut donc garantir l’accès à tous les Français. L’autre question est : quelle ambition porte ce réseau ? C’est-à-dire quel projet pédagogique porte-t-il ? Aujourd’hui, on voit bien la précarisation des différents statuts des professeurs titulaires de l’éducation nationale. Il faut l’arrêter et changer de cap complètement rendre véritablement l’ensemble du réseau accessible à tous les Français.

Sur ce thème, je propose des mesures concrètes. À commencer par la gratuité pour les familles les plus vulnérables et, ensuite, garantir à toutes les autres familles qui engagent leurs enfants dans le système éducatif français qu’elles n’auront pas à consacrer plus de 20 % de leurs revenus à la scolarisation de leurs enfants. Pour les familles les plus vulnérables, c’est la gratuité tout simplement.

Beaucoup de promesses ont été faites aux français de la 9ème circonscription sur, pêle-mêle, l’école, la santé, la diplomatie économique…  Que peut faire réellement un député pour les Français de l’étranger ?

Un député, par rapport à tous les autres élus locaux, a la possibilité de légiférer. Et quand on légifère, on vote aussi les budgets. Donc, pour moi, la clé de toutes les problématiques des Français de l’étranger est à l’Assemblée nationale. La clé est budgétaire car il s’agit d’abord d’une question de moyens. Aujourd’hui, trop peu de moyens sont consacrés aux Français établis hors de France. C’est indigne de l’ambition que l’on porte pour eux.

C’est aussi par la législation que l’on peut changer le cadre de travail dans certains domaines. C’est dans la législation française que l’on peut, par exemple, encadrer le travail de la Caisse des Français de l’étranger (CFE). Tout cela est un travail législatif. Et j’insiste aussi que le budget est décidé à l’Assemblée nationale

Quels sont les principaux axes de votre programme et qu’est-ce qui le différencie fondamentalement votre programme de celui d’Élisabeth Moreno ?

Vous avez raison de poser la question de ce qui différencie mon programme de celui de mes adversaires mais aujourd’hui il y a réellement le choix entre deux projets. Il y a, d’un côté, le projet de continuer, et on sait ce que cela a donné sur les cinq dernières années, c’est-à-dire le démantèlement des services publics, la poursuite de la baisse du budget consacré aux Français de l’étranger et, de l’autre, changer de cap. Avec l’ambition d’avoir une protection sociale équitable qui reprenne les grands principes de la sécurité sociale française, d’avoir un système éducatif qui puisse porter un véritable projet pédagogique dont l’accès est garanti à l’ensemble des Français et de mettre fin à la privatisation galopante de ce réseau. Ce qui s’est passé ces dernières années, c’est une privatisation du réseau éducatif.

C’est aussi d’avoir une ambition de justice sociale et d’équité. Y compris pour les petits et moyens entrepreneurs français établis à l’étranger. Qu’est-ce qui est proposé à ces derniers, par exemple ? En réalité, ils ont été abandonnés pendant la crise du Covid-19. C’est pourquoi on propose la mise en place d’un fonds de garantie pour ces entrepreneurs.

C’est donc un programme de changement que nous proposons, un programme de progrès et de justice sociale plutôt que de continuer la suppression de la protection sociale, le démantèlement des services publics, la privatisation des écoles, la diminution des bourses de scolarité. C’est un véritable changement de cap.

Le durcissement des conditions d’obtention du visa est aussi un sujet qui revient souvent dans les conversations. Que pensez-vous de la décision prise par le gouvernement français ? Qu’est-ce qu’il est possible de faire pour assouplir à nouveau les procédures ?

Je rappelle que cette décision a été qualifiée de sanction par le gouvernement précédent auquel a appartenu Mme Moreno. Pour répondre à votre question, je demanderai la levée immédiate de cette mesure. Si je ne devais retenir qu’une raison pour la levée de cette mesure, c’est qu’elle casse la confiance avec les populations locales. Derrière les demandes de visas, il y a des populations, des personnes, avec lesquelles on est en train de rompre la confiance.

Je demanderai surtout une politique en matière de visas et une politique de circulation cohérente. Il y a un besoin de circulation entre la France et les pays de la 9ème circonscription, particulièrement les trois pays visés par cette mesure. Quand je parle de politique cohérente, est-il normal qu’un enfant placé dès son plus jeune âge dans le système éducatif français qui, arrivé au bac après avoir fait l’école française, se retrouve face à un refus de visa ? Est-ce que cela vous paraît cohérent ? Les parents ont souhaité placer leurs enfants dans une relation pérenne avec la France mais cette relation est coupée à cause de ce type de mesure.

Est-il normal aussi que les parents d’un citoyen français ne puissent pas se rendre en France pour le voir à cause d’un refus de visa ? C’est-à-dire qu’il ne peut même pas exercer son devoir de solidarité à l’égard de ses parents alors qu’il y a un devoir de solidarité que tout citoyen français peut exercer mais pas un citoyen français dont les parents sont étrangers. Il faut introduire de la cohérence dans notre politique de circulation.

Certains médias ont attaqué récemment la position hostile de certains membres de la France insoumise concernant le dossier du Sahara. On vous repose la question : quelle est votre position sur ce dossier ? L’union de la gauche a-t-elle une position sur ce sujet ?

Vous faites bien de me poser la question même si on me la pose souvent. Je sais que c’est un sujet important ici parce que ce n’est pas qu’une question d’intégrité territoriale mais aussi une question nationale et un sujet de préoccupation non seulement pour la population marocaine mais aussi pour les Français établis au Maroc. La France a toujours soutenu le Maroc sur la question du Sahara et, à mes yeux, il y a un plan d’autonomie dans le cadre de la souveraineté marocaine qui a été proposé, qui est aujourd’hui la seule solution réaliste, crédible et sérieuse.

Il y a aussi quelques faits à rappeler sur le fonctionnement de la gauche. Le dernier président qui s’est exprimé clairement sur cette question et qui a eu droit à une standing ovation au parlement marocain, c’est François Hollande, un président de gauche. Aujourd’hui, le gouvernement qui est en train de faire avancer la position de l’Espagne est socialiste. En Allemagne, c’est une coalition de la gauche et de l’écologie qui est en train de rejoindre la position qui a toujours été soutenue par la France. Voilà la position de la gauche européenne.

Comme en 2017, le taux d’abstention est très élevé. Une plus grande mobilisation est-elle possible au deuxième tour ?

Oui, il faut continuer la mobilisation. C’est pour ça que je suis sur le terrain et que je vais à la rencontre des électeurs depuis plus de dix mois parce que j’ai conscience qu’il faut aller les mobiliser et leur parler. Et, à un moment, il va falloir aussi les représenter réellement à l’Assemblée nationale. C’est ce qui mobilise aussi les citoyens, quand ils ont des représentants à l’Assemblée nationale qui travaillent du premier tour au dernier jour.

Il y a des villes, comme Marrakech ou Agadir au Maroc, qui ne votent pas à gauche. Y a-t-il une chance que ces villes basculent en faveur de la Nupes ?

Ce sont les électeurs qui se prononceront. Il faut aller leur parler. Moi, ce que je vois, c’est que, grosso modo, sur l’ensemble des pays de la 9ème circonscription, nous sommes arrivés en tête. Si vous voulez faire de la cartographie par ville, cela vous appartient, mais vous regarderez que, même par rapport au premier tour de la présidentielle, il y a une vraie dynamique autour de cette proposition d’union de la gauche et de l’écologie.