Actualités du Sahara Marocain

C’est une volte-face historique. De celles qui rebattent les cartes de la géopolitique du continent. Le 18 mars dernier, l’Espagne a annoncé son soutien au plan d’autonomie du Sahara proposé par le Maroc en 2007, alors qu’elle s’en tenait jusqu’ici à une position de prudente neutralité sur ce dossier. Si ce geste inédit est un rapprochement plus que significatif avec Rabat, c’est aussi une gifle diplomatique infligée à Alger, qui a dénoncé un « revirement brutal ». Le dossier du Sahara occidental est en effet au cœur de l’inextricable brouille entre les frères ennemis maghrébins.  


Realpolitik

Selon nos informations, ce changement de doctrine espagnol a été le fruit de longues négociations entre le roi Mohammed VI et son ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, d’un côté, et le souverain Felipe VI, Pedro Sánchez et José-Manuel Albares de l’autre.

Cette spectaculaire décision de Madrid – l’ancienne puissance colonisatrice au Sahara occidental, faut-il le rappeler – a été annoncée par le chef du gouvernement, Pedro Sánchez. Il a affirmé vouloir ainsi « construire une nouvelle relation, basée sur la transparence et la communication permanente, le respect mutuel, les accords signés par les deux parties et l’abstention de toute action unilatérale ». Mais, derrière l’affichage, c’est bien de realpolitik qu’il est question.  

Dans le contexte de crise que le déclenchement de la guerre en Ukraine par Vladimir Poutine a provoqué, avec notamment une envolée des prix du gaz, Madrid cherche d’abord à sécuriser et diversifier ses sources d’approvisionnement. En octobre, l’Algérie a coupé le robinet, annonçant le non-renouvellement du contrat du Gazoduc Maghreb-Europe (GME), l’un des cordons ombilicaux qui alimentent l’Europe en gaz africain via le Maroc. En cause, les tensions croissantes entre les deux pays voisins dans le dossier, encore et toujours, du Sahara occidental.  

Si le coup a été dur pour l’Espagne, il l’a été plus encore pour le Maroc, dont 97 % du gaz était jusque-là acheminé par le GME traversant son territoire. Madrid s’est alors tourné vers les États-Unis pour se fournir… Et un premier signe du rapprochement est intervenu en février, avec la signature d’un accord gazier entre Madrid et Rabat permettant au Maroc de réimporter du gaz américain depuis l’Espagne. Alger, mis de fait sur la touche, n’a pas caché sa colère, tandis que les commentateurs analysaient alors ce surprenant accord comme une tentative de Madrid de s’acheter les bonnes grâces du palais royal marocain après l’épisode du « Ghaligate ».  

Mohammed VI et Felipe VI

Brahim Ghali, le chef du Polisario, soigné en Espagne pour des complications dues au Covid-19 en avril 2021, avait été au cœur d’une crise diplomatique majeure, Madrid refusant d’arrêter le leader indépendantiste sous le coup de plusieurs plaintes pour « tortures » et « assassinats ». Le 2 juin, il avait fini par rejoindre, libre, l’Algérie. L’affaire avait coûté sa place à la ministre espagnole des Affaires étrangères, Arancha González Laya, remplacée par José-Manuel Albares en juillet 2021. Ce dernier a multiplié depuis les contacts avec son homologue marocain, Nasser Bourita, pour apaiser les tensions entre les deux pays.  

Autre facteur qui a poussé l’Espagne à se rallier à la position marocaine : la question migratoire. Dans le bras de fer auquel les deux pays se sont livrés ces dernières années, le Maroc n’a parfois pas hésité à utiliser l’arme migratoire pour faire pression sur Madrid, ou sur Bruxelles, quand il s’agissait de peser sur des négociations avec l’Union européenne.  

En mai 2021, les autorités marocaines avaient ainsi volontairement fermé les yeux sur le passage de frontière de quelque 8 000 migrants marocains et subsahariens, dont 1 500 mineurs, vers l’enclave espagnole de Ceuta. À l’heure où l’Europe fait face à un afflux de réfugiés venus d’Ukraine, la perspective d’un nouvel épisode de ce genre effraie Madrid. Le 2 mars dernier, 2 500 migrants ont tenté d’entrer de force dans Ceuta. Et, au cours des deux jours qui ont suivi, près de 800 d’entre eux sont parvenus à pénétrer dans l’enclave. Si les autorités marocaines ont alors assuré qu’elles accomplissaient « un travail colossal » pour surveiller leurs frontières, les sonneries de téléphone n’en ont pas moins retenti dans les chancelleries des deux pays avec une vigueur renouvelée.  

En s’attirant les bonnes grâces du Maroc dans le dossier du Sahara occidental, les autorités espagnoles espèrent également apaiser le différend territorial autour des enclaves de Ceuta et Melilla. Mais si le revirement espagnol est une victoire diplomatique pour le Maroc, c’est aussi un pari hasardeux pour le pays européen, à en croire un journaliste espagnol, qui juge que « Madrid a cédé au Maroc sans aucune garantie de contreparties claires, nettes et précises ».