Les ministres des Affaires étrangères français et marocain, Jean-Yves Le Drian et Nasser Bourita (à dr.) en conférence de presse à Rabat, le 9 octobre 2017.
Mosa’ab Elshamy/AP/SIPA
L’annonce par la France de la réduction de moitié du nombre de visas accordés aux ressortissants marocains a suscité l’incompréhension, voire l’agacement des autorités du royaume, qui estiment que Paris se défausse à bon compte sur Rabat.À la fin du mois de septembre, le porte-parole du gouvernement français, Gabriel Attal, annonçait la réduction de moitié du quota de visas accordés aux Marocains, en réponse, a-t-il expliqué, au faible nombre de laissez-passer consulaires délivrés par le royaume à ses ressortissants faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (138 laissez-passer pour 3301 personnes en situation irrégulière).
Si Rabat n’a pas réagi aussi vivement qu’Alger, les positions françaises et marocaines semblent assez peu conciliables, chacun se renvoyant la balle.
Un problème récurrent entre Paris et Rabat, qui avait, entre autres, motivé la visite de Gérald Darmanin en octobre 2020. Le ministre français de l’Intérieur avait alors déclaré « qu’il était normal […] qu’ils [les ressortissants du royaume en situation irrégulière, NDLR] reviennent sur le territoire marocain ».
De même qu’il fallait continuer de protéger les mineurs en les ramenant « auprès de leur famille au Maroc ou dans des centres éducatifs marocains ».
Visiblement, les autorités françaises ont jugé la réponse marocaine insuffisante. Interrogé par JA, le député Jérôme Lambert (Parti socialiste), qui siège au sein du groupe d’amitié France-Maroc, estime qu’il est nécessaire que le royaume « accepte d’assumer ses responsabilité dans le retour de ses ressortissants ».
« Situation de chantage »Même son de cloche du côté de la majorité présidentielle, avec le député Belkhir Belhaddad, lui aussi membre du groupe d’amitié parlementaire entre les deux pays : « Il faut bien sûr maintenir des relations cordiales avec le Maroc, mais aussi un partenariat exigeant en matière de lutte contre le terrorisme et l’immigration clandestine ».
On a l’impression d’une véritable « zemmourisation » de la vie politique »Bien que Jérôme Lambert estime « malheureux d’en arriver à une situation de chantage », il se dit assez peu surpris par cette annonce, dont il affirme qu’elle aurait pu intervenir beaucoup plus tôt, car les difficultés ne datent pas d’aujourd’hui. Il y voit un moyen de pression sur les trois pays du Maghreb central pour leur faire accepter le retour de leurs ressortissants.
« Ce qui a évolué, c’est la manière de poser le problème », explique-t-il. À ses yeux, le moment choisi pour cette annonce laisse supposer qu’à l’approche de l’élection présidentielle, le gouvernement veut montrer qu’il sait faire preuve de fermeté sur des questions qui préoccupent l’opinion publique française.
Du côté marocain, c’est l’incompréhension, voire l’agacement. Le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, a ainsi qualifié cette mesure « d’injustifiée ».
Une source diplomatique marocaine contactée par JA dénonce « une décision française prise sans aucune concertation ni information préalable du Maroc ». Et d’indiquer que la « responsabilité de l’exécution des mesures de rapatriement en partance du territoire français relève de la compétence exclusive et directe des autorités françaises ».
« De l’extérieur, on a l’impression d’une véritable « zemmourisation » de la vie politique, qui étend à présent ses effets à la politique internationale du président Macron », regrette de son côté l’ancien ambassadeur marocain Ahmed Faouzi.
Lequel rappelle que pour décider de l’expulsion d’une personne en situation irrégulière et obtenir le laissez-passer consulaire, il faut encore déterminer son identité et sa nationalité.
Une démarche complexe dans la mesure où la plupart des personnes visées par les autorités ne disposent pas de documents et ne déclinent pas aisément leur identité réelle. D’autre part, en cette période de pandémie, tout rapatriement est subordonné à une vaccination contre le Covid-19, laquelle ne peut être imposée.
Quand ces deux conditions sont réunies, il n’y a, selon Ahmed Faouzi, aucun obstacle au rapatriement des ressortissants marocains. « Nous avons toujours eu des relations exceptionnelles avec la France à travers le dialogue et la concertation », tempère-t-il.
Avant de rappeler que la France ne doit pas oublier qu’elle a besoin du Maroc pour consolider son implantation économique en Afrique.
Une dimension qui n’échappe pas à Jérôme Lambert, lequel estime « peu compréhensibles » les termes employés par Emmanuel Macron à l’endroit de dirigeants et ressortissants étrangers, au regard des usages diplomatiques.
« On va plutôt ennuyer les gens des cercles dirigeants, qui avaient l’habitude d’obtenir des visas facilement », a déclaré le président français en marge d’une rencontre, le 30 septembre, avec des familles ayant vécu la guerre d’Algérie.
Les mineurs isolésIl s’agit d’une problématique différente, et pourtant, la question des mineurs non accompagnés participe aussi des tensions migratoires entre la France et le Maroc.
Dans l’Hexagone, 16 760 personnes ont été déclarées mineurs non accompagnés entre le 1er janvier et le 31 décembre 2019, dont 95,5 % de garçons, selon le ministère français de la Justice. Parmi elles, 3,27 % seraient de nationalité marocaine.
La question des mineurs isolés est un « épiphénomène qui ne doit pas gâcher les relations stratégiques »Pour Ahmed Faouzi, la question des mineurs isolés est d’ailleurs un « épiphénomène qui ne doit pas gâcher les relations stratégiques et historiques entre le Maroc et la France ».
À ce stade, la recherche d’un compromis franco-marocain à court terme sur la question migratoire ne semble pas à l’ordre du jour. Alors, comment sortir de l’impasse ?
L’ancien diplomate estime qu’il faudra certainement attendre l’après-présidentielle en France pour « aborder sereinement le cadre de notre partenariat ».
« Cette annonce ne se base sur aucune donnée objective de la coopération migratoire entre le Maroc et la France, qui se déroule de manière satisfaisante », poursuit notre source diplomatique. Laquelle assure que les « autorités marocaines ont honoré leurs engagements en matière d’identification et d’établissement des LPC [laissez-passer consulaires, NDLR].
« Les autorités marocaines ne sauraient se substituer aux autorités françaises pour surmonter des difficultés relevant de leurs compétences matérielles et territoriales », conclut la même source.