Un mois pile après sa victoire aux élections, Aziz Akhannouch a formé un gouvernement « technique » dans lequel le RNI hérite logiquement de ministères clés.
Rajeuni, plus féminin – sans pour autant être paritaire –, le nouveau gouvernement dirigé par Aziz Akhannouch et validé par le roi Mohammed VI le 7 octobre est surtout foncièrement technocratique.
Dans un contexte national mêlant crise sanitaire et économique, mais aussi profondes inégalités sociales, le chef du gouvernement, proche du Palais, aura pour mission principale de mettre en œuvre les grandes orientations royales et notamment le Nouveau Modèle de développement (NMD). Ce qui explique que la « politique » a été complètement (ou presque) effacée de la photo de famille.
Le « régalien » toujours en dehors du giron gouvernementalConcrètement, ce gouvernement compte 24 ministres et ministres délégués, dont 7 femmes. Dix-huit ministres sont issus des trois partis qui composent la majorité gouvernementale : RNI, PAM et Istiqlal.
Première observation, tous les titulaires des ministères « régaliens », sans appartenance politique, ont été reconduits : Nasser Bourita reste aux Affaires étrangères, Abdelouafi Laftit à l’Intérieur, Abdellatif Loudiyi à l’Administration de la Défense nationale, Mohamed Hajoui au secrétariat général du gouvernement et Ahmed Toufiq aux Habous (Affaires islamiques). Il s’agit de départements qui ne font pas partie des prérogatives du chef du gouvernement.
Autre « valeur sûre » et inamovible, Fouzi Lekjaa, à la fois président de la Fédération royale marocaine de football et directeur du budget de l’État, qui devient ministre délégué auprès du ministre de l’Économie et des Finances chargé du budget, et qui devra collaborer étroitement avec l’ensemble de l’équipe ministérielle.
Au RNI, les femmes sur le frontSous la houlette de Aziz Akhannouch, le gouvernement aura principalement la main sur les postes « stratégiques » et l’économie. Le RNI, grand vainqueur des élections, a hérité de sept portefeuilles, dont ceux de l’Agriculture – ancien pré-carré de Aziz Akhannouch, qui sera remplacé par son numéro deux, Mohamed Sadiki – et de l’Économie et des Finances, lequel pour la première fois dans l’histoire des gouvernements marocains, sera occupé par une femme : Nadia Fettah Alaoui, ex-ministre du Tourisme, nommée en 2019 et qui avait rejoint peu après le RNI.
À l’époque, elle était déjà la première femme à prendre la tête de ce ministère. Diplômée de HEC, elle a effectué une grande partie de sa carrière au sein du groupe Saham (assurances), auprès de Moulay Hafid Elalamy.
Dans le milieu du conseil, de la finance et des assurances, Nadia Fettah Alaoui est considérée comme un « bon profil », avec une « expertise reconnue ».
La pression sera forte sur cette ministre qui devra mener en priorité deux chantiers très attendus et souhaités en haut lieu : la généralisation de la couverture sociale (pour 22 millions de Marocains d’ici 2025) et la création du fonds Mohammed-VI pour l’investissement, doté de 15 milliards de DH par l’État et de 30 milliards qu’il faut encore aller chercher auprès des bailleurs de fonds.
Au sein du RNI, deux autres femmes vont occuper des portefeuilles stratégiques et complexes, particulièrement dans un contexte de crise sanitaire : Fatim-Zahra Ammor au Tourisme et Nabila Rmili à la Santé. Quant à Mustapha Baitas, considéré comme le dauphin de Aziz Akhannouch, il sera ministre délégué chargé des relations avec le Parlement et porte-parole du gouvernement.
Le PAM tire son épingle du jeuÀ égalité avec le RNI, le PAM a obtenu lui aussi sept portefeuilles. Abdellatif Ouahbi, avocat et secrétaire général du parti, prend la tête d’un ministère à forte valeur symbolique : la Justice.
Symbolique car « une grande partie de son pouvoir a été transféré au ministère public, une institution hors du gouvernement. Aujourd’hui, un ministre de la Justice se contente d’assurer la gestion administrative des juges et des tribunaux », souligne Zakaria Garti, fondateur du Mouvement Maan.
"On a compris que ce gouvernement était focalisé sur le concret, le résultat, mais les grands idéaux, le fond ont aussi leur part d’importance", estime Zakaria Garti.Plus symbolique encore, la mention « droits de l’homme », traditionnellement accolée à la Justice, a été supprimée. Un changement qui n’a pas manqué d’interpeller une partie de l’opinion sur les réseaux sociaux. « On a compris que ce gouvernement était focalisé sur le concret, le résultat, mais les grands idéaux, le fond ont aussi leur part d’importance », poursuit Zakaria Garti.
Le PAM a surtout réussi à mettre en valeur ses « têtes d’affiche », militants de la première heure et purs produits du parti, notamment Fatima Ezzahra El Mansouri, qui devient ministre de l’Aménagement du territoire national, de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Politique de la ville, et Mehdi Bensaïd, qui prend la tête du ministère de la Jeunesse et de la Culture. Ce sont d’ailleurs les ministres les plus « politiques » du gouvernement.
Mais le parti du Tracteur a aussi réussi à caser des profils plus « techniques » : Younes Sekkouri au ministère de l’Inclusion économique et des Petites Entreprises et Leïla Benali à la Transition énergétique et au Développement durable, un domaine stratégique pour le royaume.
L’Istiqlal, arrivé troisième aux élections, a su également négocier de bonnes positions. Il a obtenu quatre grand ministères, parmi ceux qui lui tiennent à coeur. Il a ainsi pu récupérer son ministère de prédilection, l’Équipement, qu’il occupait au début du règne de Mohammed VI, et qui sera géré par Nizar Baraka, secrétaire général du parti.
Toujours dans le giron de l’Istiqlal : le très stratégique portefeuille de l’Industrie et du Commerce, occupé jusque-là par le flamboyant Moulay Hafid Elalamy et qui revient à Ryad Mezzour — qui était son directeur de cabinet. Autre gros département revenu à l’Istiqlal : les Transports et la logistique, dont hérite Mohamed Abdeljalil, patron du géant Marsa Maroc, premier opérateur portuaire du royaume. L’Istiqlal récupère aussi le ministère de la Solidarité, l’Insertion et la Famille, qui revient à une femme, Aouatif Hayar, présidente de l’Université Hassan II de Casablanca. Il s’agit de personnalités istiqlaliennes peu connues du grand public, qui n’ont jamais été ministres auparavant. Signe, s’il en faut, du renouvellement voulu par Nizar Baraka.
En plus de ces portefeuilles, l’Istiqlal a par ailleurs obtenu la présidence de la Chambre des Conseillers, poste qui sera occupé par le Sahraoui Enaam Mayara, qui n’est autre que le chef du syndicat du parti, l’UGTM. Il s’agit du quatrième poste politique dans la hiérarchie du royaume.
La question du cumul des mandatsGrande surprise, l’arrivée de Chakib Benmoussa (RNI) à la tête du ministère de l’Éducation nationale, du Préscolaire et des Sports. Un secteur aux abois qui nécessite une refonte globale et des réformes structurelles, notamment dans l’offre éducative proposée par le système public.
Président de la fameuse Commission pour le NMD depuis novembre 2019, Benmoussa a aussi été ministre de l’Intérieur de 2006 à 2010. « C’est un homme d’État qui connaît bien les arcanes du pouvoir, il est donc tout à fait légitime pour s’imposer dans un ministère très compliqué. C’est d’ailleurs lui et le rapport du NMD qui ont préconisé de rattacher le préscolaire à l’Éducation nationale. Mais l’Éducation, ce n’est pas l’Intérieur, il faut avoir le sens du compromis et du consensus », souligne Zakaria Garti.
Surtout, Chakib Benmoussa est encore à ce jour ambassadeur du Maroc à Paris. S’il devra quitter ses fonctions de diplomate, le cumul des mandats n’en reste pas moins un phénomène omniprésent dans ce nouveau gouvernement.
Ainsi, pour ne citer qu’elles, Fatima Ezzahra El Mansouri est à la fois maire de Marrakech et ministre de l’Aménagement du territoire, et Nabila Rmili, maire de Casablanca et ministre de la Santé (dont le siège est à Rabat).
Quant à Aziz Akhannouch, il est chef du gouvernement et maire d’Agadir. Dans la loi, rien n’interdit le cumul d’une mairie et d’un ministère, alors que les parlementaires n’ont pas le droit de diriger une commune de plus de 300 000 habitants. Pourtant, on peut s’interroger sur la capacité d’une personne à gérer à la fois la capitale économique d’un pays et la Santé, surtout dans un contexte pandémique.
Dans les jours à venir, il est donc fort probable que les ministres concernés trouveront des solutions alternatives : délégation ou remplacement par intérim au détriment (peut-être) des grandes villes du royaume. Mais de l’avis de nombreux observateurs, « si Aziz Akhannouch ne lâche pas Agadir – et il y a fort à parier qu’il ne le fera pas –, il ne pourra pas l’exiger de ses ministres ».