Actualités du Sahara Marocain

Premiers contacts avec Mohammed VI, décision soudaine de Donald Trump de reconnaître la marocanité du Sahara ou encore coup de gueule de Nasser Bourita qui a failli annuler le deal à la dernière minute. Dans son premier livre, l'ex-conseiller spécial de Trump et par ailleurs artisan des Accords d'Abraham revient avec force détails sur les coulisses de la normalisation entre l'État hébreu et le Royaume. Les détails

Ce 23 août, le gendre de Donald Trump et son ancien conseiller spécial, Jared Kushner, publie un livre-mémoire Breaking History revenant sur les quelques années où il officiait à la Maison-Blanche. En sa qualité de conseiller du président américain, il avait été mandaté pour la gestion du conflit israélo-palestinien. On lui reconnaît aujourd’hui d’avoir été l’architecte du plan de paix qui se voulait être le « Deal du Siècle », présenté par Trump en janvier 2020. Dans ce cadre, il donnera naissance aux Accords d'Abraham, où les Émirats arabes unis et le Bahreïn normaliseront leurs relations diplomatiques avec Israël, suivis par la suite par le Soudan et enfin le Maroc.

Malgré sa volonté de gommer l'héritage trumpien, la nouvelle administration Biden qui reprendra le flambeau peinera cependant à effacer le souvenir des Accords d'Abraham, affirmant plutôt vouloir s'appuyer dessus pour concrétiser la paix dans le Moyen-Orient.

Consulté par Le Desk, le livre-mémoire de Jared Kushner aborde largement la partie consacrée au Maroc, mais aussi les coulisses du rapprochement entre Tel-Aviv et Rabat.

Coupe du monde 2026 : la rivalité Maroc-USA

En tant que conseiller spécial de Donald Trump, Jared Kushner se rend au Maroc pour la première fois en 2019. Il écrit ainsi que « la visite (au Maroc;ndlr) est venue avec une certaine appréhension ».« L'été précédent, les États-Unis, le Canada et le Mexique avaient participé à une candidature conjointe contre le Maroc pour accueillir la Coupe du monde de football 2026. Trump m'avait chargé de diriger l'effort, ce qui impliquait de travailler en étroite collaboration avec la fédération américaine de soccer (football) sur des dizaines d'engagements techniques inhabituels de la part des départements et organismes », raconte-t-il.

« Alors que la FIFA se préparait à voter, Trump m'a demandé d'appeler MBS et de demander le soutien de l'Arabie saoudite pour notre candidature. Le prince héritier a accepté. Le vote critique des Saoudiens a marqué un tournant dans nos efforts et a contribué à persuader de nombreux autres pays arabes de soutenir notre offre par rapport à celle du Maroc », affirme-t-il.

Kushner ne manque pas de souligner avoir craint que la victoire américaine sur le Maroc, se fasse au prix d'une relation tendue avec le dirigeant du pays, le roi Mohammed VI.

Une première rencontre avec Mohammed VI, le Sahara abordé

Pour son premier voyage au Maroc, Jared Kushner se fait briefer par ses experts en politique étrangère qui lui confient que la souveraineté du Maroc sur le territoire du Sahara occidental devrait certainement être abordé par Mohammed VI.

Pour sa part, Kushner, au sujet du conflit, précise que : « plus je faisais des recherches sur l'histoire, plus je croyais que le Maroc avait une revendication légitime », indique le gendre de Trump. « D'un point de vue sécuritaire, il contrôle déjà les deux tiers du territoire, et il a clairement servi les intérêts américains. La majeure partie de l'empreinte militaire américaine en Afrique était en réponse aux ambitions » terroristes de différentes organisations, fait-il savoir.

Pour le dîner, Jared Kushner écrit avoir rencontré Mohammed VI mais aussi le prince héritier Moulay Hassan. « À sa gauche, en face de moi, il y avait son fils, un garçon de seize ans avec l'allure de quelqu'un qui avait le double de son âge. La chaleur entre père et fils était évidente. Alors que certains enfants de dignitaires manquent de maturité pour se comporter dans des cadres officiels, le prince héritier Moulay Hassan était pleinement attentif et engagé », écrit Kushner, en décrivant Moulay Hassan.

En plus d'aborder la question du Sahara, Mohammed VI expliquant le dossier à Jared Kushner, le dîner verra aussi un autre sujet abordé : la visite avortée de Mohammed VI à la Maison-Blanche en 2018. Présent, c'est Nasser Bourita, chef de la diplomatie, qui expliquera les raisons. «  il a déclaré que John Bolton n'accepterait pas d'inclure un libellé dans la lecture du voyage disant que les États-Unis travailleraient avec le Maroc pour trouver une solution pacifique sur le Sahara occidental. Trump attendait avec impatience la visite et, à ma connaissance, Bolton ne l'a jamais informé de la raison pour laquelle ils avaient annulé », se souvient Jared Kushner, au sujet de l'ancien secrétaire d'État John Bolton.

Les coulisses d'une reconnaissance soudaine

La reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental était-ce un travail de longue haleine ou une décision soudaine prise par Donald Trump ?

Dès le 11 décembre 2020, soit près de 24 heures après la reconnaissance américaine, le journal américain Axios avait révélé que la décision de Donald Trump était venue à la suite d'une dispute avec James Inhofe, puissant sénateur républicain, président de la commission sénatoriale des forces armées et par ailleurs fervent défenseur des thèses du Front Polisario au sujet du conflit du Sahara occidental.

Comme nous le rapportions, on précisait que Trump voulait que des dispositions soient comprises dans le projet de loi de financement militaire qui abroge la protection des entreprises spécialisées dans les réseaux sociaux et supprime une disposition visant à renommer les installations militaires qui portent les noms des dirigeants confédérés. Ce qu'Inhofe a refusé jusqu'au dernier. La réaction de Trump sera sans appel : quelques jours plus tard, il reconnaît la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental.

Des affirmations que confirme aujourd'hui Jared Kushner. « Bien que Trump ait apprécié ce qu'une percée pourrait signifier pour les relations israélo-arabes, il avait précédemment dit à Inhofe qu'il n'irait pas de l'avant avec la reconnaissance. Maintenant que le sénateur bloquait la disposition de l'article 230, cependant, Trump était moins préoccupé par l'opposition du sénateur. Cela a créé une ouverture inattendue pour nous de revoir la question avec le président », fait-il savoir.

« J'ai demandé à Avi (Berkowitz, représentant spécial des États-Unis pour les négociations internationales, ndlr) d'appeler le ministre des Affaires étrangères du Maroc, Nasser Bourita, pour voir si son pays honorerait toujours les termes de l'accord de paix dont nous avions discuté six mois auparavant. Diplomate habile, Bourita possédait un profond réservoir de connaissances sur les questions, qu'il associait à son vaste intellect et à son esprit créatif. Il nous a toujours donné des commentaires honnêtes. Avi a dit à Bourita que c'était encore loin, mais que nous voulions savoir si les Marocains étaient prêts et disposés à agir rapidement. Après avoir vérifié auprès du roi, Bourita a confirmé qu'ils étaient d'accord », écrit le gendre de Donald Trump.

Kushner précise que pour ne pas faire capoter l'accord au dernier moment, la décision a été prise de ne pas mettre au courant la partie israélienne d'un potentiel accord. « Contrairement à l'accord avec les Émirats arabes unis, Israël n'aurait pas besoin de faire de concessions. Tout ce que Bibi aurait à faire serait d'accepter l'offre, qui était clairement dans l'intérêt national d'Israël. Un million de Juifs sont d'origine marocaine, et la normalisation permettrait aux familles israéliennes de renouer plus facilement avec leurs proches et de visiter des sites ancestraux », justifie-t-il.

Il faudra attendre la réception annuel de Hannuka à la Maison-Blanche pour que Berkowitz mette au courant l'ambssadeur israélien Ron Dermer. « Nous avons une autre surprise. Demain, le président reconnaîtra la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental et le Royaume annoncera qu'il est prêt à normaliser ses relations avec Israël », lui explique-t-il selon les propos rapportés par Kushner.

Le lendemain matin, Trump parlera à Mohammed VI et lui annoncera la nouvelle. Les désormais deux tweets célèbres suivront par la suite. « Obtenir cet accord était comme essayer de faire atterrir un avion sur un porte-avions au milieu d'une tempête », commente Kushner.

Ouverture d'ambassades : Bourita a failli annuler le deal

Le 22 décembre, Jared Kushner, accompagné d'Avi Berkowitz mais aussi du président du conseil national de sécurité israélien, Meir Ben Shabbat, se rendent au Maroc. L'occasion d'inaugurer le tout premier vol commercial entre le Maroc et Israël, de rencontrer le souverain Mohammed VI à son bureau mais aussi et surtout de concrétiser le rapprochement entre les deux pays, avec la signature d'un accord.

« J'ai appris de mes expériences avec les Émirats arabes unis et Bahreïn que si nous ne prenions pas l'initiative, la signature pourrait ne pas avoir lieu avant des mois, voire pas du tout », note Jared Kushner, son arrivée au Maroc pour la signature n'étant séparée que d'une douzaine de jours de l'annonce du président américain... « À moins de trente jours de la fin du mandat de Donald Trump, nous ne pouvions pas nous permettre de faire traîner le processus. Avi et moi avons travaillé pour organiser et présenter les deux parties, résoudre les derniers problèmes et programmer le premier vol avant la fin du mois », indique-t-il.

En coulisses de la préparation, Jared Kushner révèle que le deal a failli capoter. La raison : un désaccord autour de l'ouverture d'ambassades. « Israël voulait que le Maroc en ouvre un, et le Maroc voulait entamer la nouvelle relation avec des bureaux de liaison », précise Kushner, ajoutant que « le ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita s'est avéré tellement frustré par la situation qu'il a menacé d'annuler complétement l'accord. Je lui ai promis que nous amènerions les Israéliens au bon endroit », ajoute l'ex-conseiller spécial de Donald Trump.

Le jour J arrivé, les désaccords levés, la délégation sera bel et bien accueillie au Maroc. Le soir, ils rejoignèrent le souverain dans son palais, « où nous fûmes escortés dans le bureau du roi, une grande pièce lambrissée qui sentait l'encens et ornée de superbes tissus damassés. Deux rangées de chaises bien rangées se faisaient face – un côté pour les officiels marocains et l'autre pour moi, Avi, Boehler et Meir Ben-Shabbat. Le roi Mohammed VI était assis à la tête de la salle, divisant les rangées, devant une immense fresque représentant son arbre généalogique, qui remontait au prophète Mahomet », décrit Kushner, pour ajouter que Mohammed VI, « connu pour son goût irréprochable, le roi était vêtu d'un costume noir bien taillé. Assis directement à côté du roi se trouvait son fils, Moulay Hassan, le prince héritier du lycée qui m'avait impressionné lors de notre dîner en 2019. Le roi m'a accueilli aussi chaleureusement que possible tout en respectant les protocoles stricts de Covid-19 », peut-on lire.

« J'ai fait une pause de quelques secondes avant d'apposer ma signature en tant que représentant des États-Unis. J'avais signé beaucoup de documents dans ma vie professionnelle. L'action était la même - presser le stylo sur du papier pour conclure un accord - mais la différence d'importance n'aurait pas pu être plus dramatique. Cet accord conduirait à des connexions et à des activités qui rendraient le monde plus pacifique et prospère. Dans les transactions commerciales, les parties changent de propriétaire  Dans les accords de paix, les gens changent d'avis », s'enthousiasme Jared Kushner dans son livre...