Alors que le royaume a résolument choisi de se tourner vers le Sud, sa demande d’adhésion à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) est en stand-by. Explications.
Plus de quatre ans après le dépôt de sa demande d’adhésion à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), le Maroc attend encore. La visite en février d’une délégation du Parlement de la Cedeao à Laâyoune et la signature à cette occasion d’une déclaration conjointe seraient-elles le signe d’un prochain feu vert ?
Lors d’une visite le 21 février dans le sud du Maroc, le président du Parlement de la Cedeao, le Sierra-Léonais Sidie Mohamed Tunis, et le président de la Chambre des conseillers marocaine, Naama Mayara, ont en effet signé « La Déclaration de Laâyoune ».
Cette rencontre a été pour le représentant de la Cedeao l’occasion de « saluer les efforts » du royaume pour améliorer le « niveau de vie déjà élevé » des habitants des provinces du Sud et assurer la stabilité de la région. Si elle n’engage à rien, cette déclaration n’en marque pas moins un changement de ton des instances de la Cedeao sur le statut du Sahara.
Changement de ton sur le Sahara« Impressionné » par les projets réalisés à Dakhla et Laâyoune, Sidie Mohamed Tunis s’est encore réjoui de « l’élan de développement socio-économique » dans la région. Difficile de ne pas aussi y voir un signal positif pour le Maroc, tant la question du Sahara a pu jouer en sa défaveur auprès de certains États membres de la Cedeao.
Durant ce séjour symbolique dans la région, la délégation de la Cedeao a par ailleurs visité plusieurs chantiers de développement social et urbain. L’occasion pour le Maroc de mettre en avant son potentiel dans le renforcement de l’influence économique et politique de la Cedeao à l’échelle régionale et continentale.
Aussitôt réintégré à l’Union africaine en janvier 2017, le Maroc avait déposé une demande d’adhésion à la Cedeao avec le statut d’observateur et de membre associé. Une approche qui, selon le spécialiste Jamal Riad, chercheur à l’université Hassan-II de Casablanca, marquait « une rupture avec la politique de “la chaise vide” » pratiquée jusque-là par le Maroc et une réorientation de ses priorités stratégiques vers l’Afrique.
En 2017, lors du 51e sommet de la Cedeao, à Monrovia, l’organisation avait donné son accord de principe. Mais au sommet suivant, à Abuja (Nigeria), l’adhésion marocaine a été soumise aux négociations d’un comité dirigé par les chefs d’État du Togo, de la Côte d’Ivoire, du Ghana, de la Guinée et du Nigeria. Ce comité devait alors « adopter les termes de référence et superviser l’étude approfondie des implications de l’adhésion du Maroc ».
Les négociations dudit comité devaient aborder trois axes majeurs : les accords commerciaux entre le royaume et les pays de la zone, les réticences des principales économies de la Cedeao face à la compétition avec les entreprises marocaines, ainsi que le manque de consensus au sein de l’organisation sur la question de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental.
Un rapport de la Commission de la Cedeao qui avait alors fuité confirmait ces réticences. « En tant que bloc régional, la Cedeao devrait anticiper la manière de traiter la question du territoire du Sahara occidental, car elle constitue un potentiel facteur de divisions entre les États membres actuels dans le cas où le Maroc se verrait accorder l’adhésion au bloc régional », pouvait-on y lire. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts, le Nigeria ayant notamment atténué sa position traditionnellement plutôt favorable au Polisario.
Le poids de l’économie marocaineJamal Riad estime d’ailleurs que le blocage est davantage lié à des considérations économiques et commerciales. « La cause nationale de l’intégrité territoriale et le conflit créé autour de la marocanité du Sahara sont loin d’être des obstacles à l’adhésion du Maroc à la Cedeao », assure-t-il.
Le solde commercial du royaume avec les pays de la Cedeao est largement excédentaire. De quoi effrayer les autres économies de la région
Avec la mise en place d’une zone de libre-échange à l’échelle continentale (Zlecaf), la demande d’adhésion de Rabat à la Cedeao a-t-elle toujours un sens ? Le Maroc n’a pas encore ratifié l’accord de libre-échange continental, alors que la Cedeao est un espace économique fonctionnel depuis les années 1970.
Pour Jamal Riad, la négociation entre le Maroc et les États d’Afrique de l’Ouest devra « se faire sous deux angles distincts mais complémentaires : la libéralisation des échanges entre les pays membres de la communauté et le plafond tarifaire fixé à l’égard des pays tiers ». Un point crucial pour le Maroc, dont l’essentiel des échanges commerciaux se fait avec des États non-africains.
Certes, depuis 2000, le volume des échanges commerciaux entre le Maroc et les pays de la Cedeao est en hausse, atteignant 1 milliard de dollars en 2017. Mais le solde du royaume est largement excédentaire, dépassant les 700 millions de dollars. De quoi effrayer les autres économies de la région dans la perspective d’une intégration du royaume à la Cedeao.
Parmi les éléments impactant les négociations, Jamal Riad évoque « la complexité des paramètres et règles douanières ». « Le Maroc a déjà conduit des négociations dans le cadre de la Ligue arabe pour la création d’une union douanière impliquant un Tarif extérieur commun », concède-t-il.
Mais l’Union douanière arabe est un projet en construction et les négociations tarifaires sont en cours. À l’inverse, le Tarif extérieur commun de la Cedeao est fixé et n’ouvre pas les mêmes marges de manœuvre de négociation » pour le Maroc.
Enfin, et au-delà de ces questions très concrètes, c’est aussi de l’appartenance identitaire du Maroc dont il s’agit. « Pour nombre de pays africains, le Maghreb ne fait pas partie de l’univers culturel du continent », constate Jamal Riad. Même si, note le spécialiste, « les visites africaines du roi Mohammed VI améliorent considérablement l’image du royaume en Afrique subsaharienne ».
L’aspect politique et sécuritaireInitialement créée pour promouvoir l’intégration économique des États de l’Afrique de l’Ouest, la Cedeao a également acquis un poids diplomatique et sécuritaire non-négligeable. En effet, l’organisation s’est dotée en 1999 d’un « Protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité », voué à « assurer la sécurité et la paix collectives ».
Dans ce cadre, le rôle de l’armée marocaine est considéré comme un « atout important dans les efforts régionaux de paix, de sécurité et de stabilité, notamment dans les domaines des opérations de maintien de la paix, de lutte contre le terrorisme », selon le rapport de la Commission de la Cedeao de 2017. Reste qu’une adhésion du Maroc pourrait porter le débat sur le Sahara dans l’arène de la Cedeao, une perspective dont, à l’évidence, Rabat ne veut pas entendre parler…