Actualités du Sahara Marocain

La position du gouvernement espagnol était et demeure celle de l’Union européenne. C’est-à-dire défendre la tenue d’une consultation afin que ce soit le peuple sahraoui qui décide comment il veut que soit son avenir. Le gouvernement espagnol n’a pas bougé de cette position”, lançait le 22 août le Haut représentant pour les Affaires étrangères de l’UE Josep Borrell, dans une interview accordée à la télévision officielle de l’Espagne TVE. Ces mots ont vite provoqué une polémique au Maroc et donné naissance à de faux espoirs parmi les dirigeants du Polisario.

L’Union européenne n’a pas tardé à “clarifier” la sortie médiatique de son chef de diplomatie : “Comme l’a constamment répété (…) le haut représentant de l’UE/vice-président de la Commission européenne, Josep Borrell, la position de l’UE est claire et consiste à soutenir fermement les efforts du secrétaire général de l’ONU visant à parvenir à une solution politique juste, réaliste et durable, mutuellement acceptable à la question du Sahara, sur la base d’un compromis et conformément aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, en particulier la résolution 2602 du 29 octobre 2021”, a déclaré, le 25 août, la porte-parole de Borrell, Nabila Massrali.

À Rabat, les “clarifications” des 27 semblent inquiéter le ministère des Affaires étrangères, comme on peut le déduire d’une déclaration de Nasser Bourita, tenue en marge de l’accueil de son homologue allemande le jeudi 25 août : “C’est un propos regrettable qui ne relaie ni la position de l’Espagne ni la position de l’Europe. Nous avons eu des discussions directes avec Josep Borrell qui ont permis de clarifier les choses. Les Affaires étrangères de l’Union européenne ont sorti un communiqué insistant sur son soutien au processus mené sous l’égide des Nations unies. Les clarifications ont permis, je l’espère, de montrer qu’il s’agissait de propos mal relayés, voire d’une erreur de langue sur ce sujet.”

Qui est Josep Borrell ?

Proche du très sensible dossier du Sahara, eu égard aux différents postes de responsabilité qu’il a assumés, Josep Borrell est un diplomate chevronné qui avait déjà servi en tant que président du Parlement européen de 2004 à 2007. Il était également ministre des Affaires étrangères du gouvernement Pedro Sánchez, entre 2018 et 2019.

Politiquement, l’actuel chef de la diplomatie de l’Union européenne appartient au parti socialiste ouvrier (PSOE) du chef du gouvernement espagnol Pedro Sánchez.

Position officielle ou propos personnels ?

Sollicité par TelQuel, le professeur et chercheur en relations internationales Zakaria Abouddahab nous aide à décortiquer et contextualiser la sortie médiatique controversée du chef de la diplomatie des 27. Pour lui, “Borrell s’exprimait à titre personnel et non pas en tant que haut représentant de l’UE, puisqu’il n’a reçu aucun mandat de se livrer à une chaîne espagnole pour expliciter la position européenne en la matière”.

Pourquoi ? “D’abord il y a un litige juridique toujours examiné par la Cour de justice européenne (accords agricole et de pêche maritime suspendus en septembre 2021 par décision de la cour, ndlr). Deuxièmement il y a d’autres instances ‘plus habilitées’ à s’exprimer sur ce conflit, à savoir le conseil et la Commission de l’Union européenne, explique le chercheur. Donc on peut déjà se poser la question : en qualité de quoi Josep Borrell s’est-il exprimé ?”

Selon la même source, ces propos traduiraient une division au sein même des dirigeants de l’UE : “J’ai l’impression qu’il y a eu une sorte de division, peut-être même politique, par rapport au traitement de la question du Sahara au sein même de l’UE, puisque de telles sorties médiatiques peuvent parfois ajouter à la confusion, eu égard au timing”, la sortie étant intervenue au lendemain du discours royal du 20 août.

“Par ailleurs, il est clair qu’au niveau officiel, l’Union européenne, en tant qu’intégration économique, mais également organisation politique, soutient les démarches onusiennes consistant à trouver une solution politique mutuellement acceptable et cela a été corroboré par la déclaration conjointe entre Rabat et Bruxelles, en juin 2019”, poursuit Abouddahab.

Connotation politique ?

Pour ce chercheur en relations internationales, la sortie de Josep Borrell pousse à “poser la question sur l’opportunité de tenir de tels propos et la portée de cette déclaration par rapport au conflit, prenant en considération que la presse algérienne et le Polisario ont crié victoire après cette sortie médiatique. On constate très bien qu’il y a une ‘utilisation politicienne’ de ce genre de déclarations”.

Et de nuancer : “La Cour de justice européenne avait elle-même, en septembre 2021, précisément soulevé cette question de consultation des populations sahraouies de façon générale. À préciser qu’on parle là des Sahraouis qui vivent au Maroc et de ceux qui sont dans les camps de réfugiés à Tindouf, en Algérie.”

“Quels que soient les motifs de ces déclarations, le plus important pour le Maroc est de se tenir à celles officielles exprimées dans un cadre européen”

“La question de la consultation a été évoquée en ce qui concerne l’exploitation des ressources naturelles et il me semble que les propos de M. Borrell y font allusion, mais cela ne relève pas de sa compétence. Actuellement, il est Haut représentant pour les affaires étrangères et non président du Parlement européen, lequel contient plusieurs sensibilités qui ne sont pas forcément en faveur de la position marocaine”, éclaire le professeur universitaire.

Pour le professeur Abouddahab, l’appartenance de Borrell au parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) de Pedro Sánchez relève déjà la “contradiction entre ses propos et la ligne de conduite désormais adoptée par l’Exécutif espagnol”. Et d’ajouter : “Natif de Catalogne, M. Borrell ne doit pas être contradictoire dans ses propos. Je n’imagine pas qu’il soutiendrait l’autodétermination des Catalans, bien qu’il en fasse partie, ce qui prouve la connotation politique de sa sortie.”

“Quels que soient les motifs de ces déclarations, le plus important pour le Maroc est de se tenir à celles officielles exprimées dans un cadre européen. À part la Cour de justice, la position des instances européennes demeure constante, soutenant un procédé politique pour aboutir à une solution juste et durable du conflit au Sahara”, conclut Abouddahab.

Dans son rapport avancé au Conseil de sécurité daté du 3 octobre sur la situation au Sahara occidental, le SG de l'ONU Antonio Guterres pointe l’absence de coopération de la part du Polisario qui entrave les déplacements de la Minurso, menaçant même sa présence à l’est du mur de défense des FAR

Le secrétaire général des Nations Unies António Guterres a présenté le 3 octobre son rapport avancé sur la situation qui prévaut sur le territoire du Sahara Occidental et sur le travail de la Minurso (mission des Nations unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara occidental). Le document, présenté au Conseil de sécurité et dont Le Desk a eu accès à son contenu sera examiné à huis-clos lors de la prochaine réunion de l’instance exécutive onusienne le 30 octobre sous la présidence du Gabon.

Le rapport de Guterres couvre la période de septembre 2021 à août 2022, période marquée sur le terrain par des hostilités ouvertement mentionnées par le Polisario et par des répliques des Forces armées royales (FAR) dont Rabat ne fait pas mention.

Le secrétaire général de l’ONU revient sur les différents contacts noués entre les équipes de la Minurso avec d’une part les militaires marocains et d’autre part avec les milices du Front Polisario, et fait le point sur les discussions entamées par l'envoyé spécial de l'ONU pour le Sahara occidental, Staffan de Mistura avec les différentes parties impliquées dans ce différend régional.

La période couverte par le rapport s'avère particulière : elle coïncide à la fois avec la pandémie du Covid-19, ayant considérablement impacté le travail de la mission onusienne, qui s'appuyait sur un système de rotation, mais aussi par la reprise des harcèlements du Polisario depuis que les séparatistes de Tindouf ont déclaré unilatéralement la rupture du cessez-le-feu conclu en 1991 et ce après les événements de Guerguerat fin 2020.

En ce sens, le rapport Guterres annonce de manière inédite quelques données, indications et localisations des différentes hostilités qui viennent globalement contredire la version du Polisario sur l'existence d'une guerre intense au Sahara.

D'emblée, le document précise que la majeure partie des tirs recensés et signalés se sont concentrés dans le nord du territoire du Sahara Occidental, près de la zone de Mahbès. D'après le recensement des faits mené par la Minurso, basé sur les incidents signalés, il est relevé que les tirs ont régulièrement diminué depuis janvier 2021, ce qui contredit les communiqués bellicistes du Polisario régulièrement diffusés par ses vecteurs de propagande qui prétendent à une escalade armée doublée de pertes matérielles et humaines côté marocain. Le rapport précise par ailleurs que le Minurso n'a pas été en mesure de confirmer de manière indépendante le nombre et le lieu des tirs signalés, tandis que leur impact demeure sujet à divergences de la part des deux parties.

La Minurso a par ailleurs pris note des informations faisant état de frappes aériennes menées par des drones marocains à l'est du berm dans le contexte stratégique d’établissement par les FAR d’une zone d’exclusion terrestre et aérienne (no-go zone).

En raison du temps imparti à l’obtention des autorisations nécessaires pour se rendre aux lieux indiqués, la mission onusienne n'a pas été en mesure de confirmer de manière indépendante les faits relatés. Toutefois, il est souligné qu'en une seule occasion, les Casques bleus ont pu confirmer la présence de dégâts matériels et de pertes humaines, le 16 novembre 2021 non loin du périmètre de Mijek et au niveau de quatre autres localisations, apprend-on.

Au sujet de l'affaire des trois camions immatriculés en Algérie supposément détruits par des projectiles des forces armées marocaines, le rapport indique que des équipes de la Minurso se sont effectivement rendus sur les lieux, relevant que les véhicules en question ont été anéantis par une frappe aérienne. Des représentants du Polisario leur ont affirmé que trois personnes, supposément les chauffeurs de ces camions, ont été retrouvés carbonisés sur les lieux de l’incident. Guterres souligne cependant que les membres de la Minurso dépêchés aux confins du territoire qui confine avec la frontière mauritanienne n'ont pas pu confirmer cette information, les corps des victimes de ces tirs ayant été probablement déplacés.

Les évènements du 10 avril 2022 sont aussi mentionnés. Là encore, au niveau des trois sites visés, où selon Alger un de ses ressortissants et deux Mauritaniens ont perdu la vie, la Minurso déclare ne pas avoir pu vérifier l'exactitude des faits reprochés au Maroc.

Une mobilité de la Minurso entravée par le Polisario

Le document indique que durant la période prise en compte, la Minurso a pu effectuer 6 167 visites aux quartiers généraux, unités, sous-unités, lieux fortifiés et postes d'observation des FAR. « La coopération et les communications au niveau stratégique entre la Minurso et le commandement des FAR dans le secteur sud restent inchangées », peut-on lire des constatations de l’ONU.

À l'est du berm (mur de défense), les opérations au sol se sont poursuivies le long des corridors de 20 kilomètres représentant le no man’s land établi par les accords de 1991. Pour ce qui est des relations avec le Front Polisario, il est décrit que « les patrouilles terrestres de la Minurso n'étaient pas autorisées à l'intérieur des unités et du quartier général du Front Polisario et devaient rester à au moins 200 mètres de distance ». Les patrouilles en question ont tenté d'effectuer 2 407 visites au total dans les unités et le QG des séparatistes, mais l'accès leur a été refusé, fait savoir le rapport.

 

« Des vols de ravitaillement en hélicoptère prévus vers les bases d'opérations à l'est du berm ont été autorisés à intervalles relativement réguliers, environ deux fois par mois, sous réserve de l'approbation préalable du Front Polisario », poursuit le rapport. Cependant, « aucun convoi terrestre de logistique et d'entretien n'est autorisé depuis le 13 novembre 2020 », constate le secrétaire général de l’ONU d’après les remontées d’informations qui lui ont été faites par la Minurso. Côté Polisario, la Minurso  évalue « les risques élevés associés aux convois terrestres reste échangée ».

De plus, le commandement militaire de la Minurso, apprend-on, « n'a pas été en mesure d'établir un contact direct avec les dirigeants des forces armées du Front Polisario ». Au point que toutes les communications se faisaient uniquement par correspondance écrite.

« Les demandes d'augmentation de la fréquence des vols logistiques de la Minurso et des patrouilles aériennes ou terrestres d'enquête à l'est du berm ont été rejetées », ajoute la même source relevant qu’une exception est faite pour les patrouilles terrestres désireuses « de se rendre aux sites de frappes aériennes présumées, en particulier en cas de pertes civiles signalées ».

De ce fait, la Minurso « n'a pas pu être en mesure d'observer directement les échanges de tirs à travers le berm, ni de vérifier les détails spécifiques des incidents individuels ». La mission se contente ainsi uniquement « des informations communiquées quotidiennement par les parties, qu'elle n'a pas pu vérifier de manière indépendante ».

« Le manque d'accès aux zones proches du berm a continué de poser des défis importants aux activités d'observation de la Minurso et à la capacité de la mission à obtenir des informations de première main et à vérifier les développements signalés sur le terrain », assène Guterres. « Mon représentant spécial n'a toujours pas pu rencontrer les représentants du Front Polisario à Rabouni, conformément à la pratique établie », indique-t-il.

L’accès est également réduit pour le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme (OHCHR). Il n’a pu effectuer « aucune visite au Sahara occidental pour la septième année consécutive malgré de multiples demandes et la résolution 2602 (2021) du Conseil de sécurité encourageant fortement une coopération renforcée », fait remarquer Antonio Guterres.

 

« Le manque d'informations de première main était préjudiciable à une évaluation complète des droits de l'Homme dans la région. De plus, des défenseurs internationaux des droits de l'Homme, des chercheurs, des avocats et des observateurs auraient été expulsés ou se seraient vu refuser l'entrée au Sahara Occidental », lit-on.

Des hostilités défavorables à une solution politique

Dans son rapport, Antonio Guterres ne manque pas de faire part de ses observations comme de ses recommandations. Pour le diplomate onusien, la reprise des hostilités entre le Maroc et le Front Polisario demeure « un revers majeur pour la recherche d'une solution politique à ce différend de longue date ».

« Les incursions quotidiennes dans la bande tampon adjacente au berm et les hostilités entre les parties au niveau de ce territoire violent le statut de zone démilitarisée qui devrait plutôt rester la pierre angulaire d'une solution pacifique à la situation du Sahara Occidental », regrette Guterres.

 

« L'absence persistante d'un cessez-le-feu effectif menace la stabilité de la région, avec un risque d'escalade tant que les hostilités persistent. La conduite de frappes aériennes et de tirs à travers le berm continuent de contribuer à accroître les tensions », observe-t-il. Pour Guterres, « les États voisins (Mauritanie et Algérie) ont un rôle crucial dans la résolution du conflit ».

 

Au sujet des restrictions à la mobilité des éléments de la Minurso, relatées plus haut, le chef de l’ONU appelle à lever tout ce qui pourrait empêcher « la libre circulation des observateurs militaires, des convois terrestres, des moyens aériens et du personnel de la Minurso à l’est du berm ».

Guterres pointe du doigt des « activités militaires qui pourraient avoir un impact direct ou indirect sur les opérations de la Minurso à l’est du berm ». « Je crains que, sans liberté totale de mouvement, la Minurso ne soit bientôt incapable de maintenir sa présence à l'est du berm », menace le secrétaire général des Nations Unies

De Mistura : une visite empêchée à Laâyoune

Enfin, le contenu du rapport aborde aussi les coulisses des déplacements de l'Envoyé spécial Staffan de Mistura pour rencontrer les différentes parties. Au Maroc, on apprend ainsi que l'annulation du déplacement du diplomate à Laâyoune est venue à la suite d’exigences formulées par Rabat. D'après la même source, les autorités marocaines ont conditionné cette visite qui prévoyait la rencontre avec « les activistes de droits humains », indique-t-on.

« Au cours des consultations avec les autorités marocaines sur la planification de son projet de visite au Sahara occidental, mon Envoyé personnel a été informé de la position du gouvernement marocain selon laquelle il ne lui serait pas possible de rencontrer des représentants de la société civile et des organisations de femmes à l'occasion de cette première visite », lit-on, pour préciser que « compte tenu des principes des Nations Unies, en particulier de l'importance de la participation égale et de la pleine implication des femmes dans tous les efforts de maintien et de promotion de la paix et de la sécurité, et compte tenu également de l'importance de la participation des organisations de la société civile, mon envoyé personnel a décidé de ne pas procéder à une visite au Sahara Occidental au cours de ce voyage, mais a déclaré qu'il avait hâte de le faire lors de ses prochaines visites dans la région », rapporte Guterres.