Actualités du Sahara Marocain

Depuis quelques années, le Maroc a adopté une politique de tolérance zéro sur tout ce qui touche à son intégrité territoriale, y compris lorsqu’il s’agit de cartographie. Dernières victimes en date : les écoles françaises du royaume, dont certaines ont été contraintes de retirer des manuels scolaires jugés non conformes par les autorités.


Au mois de septembre 2022, lors de la dernière rentrée scolaire, des rumeurs ont circulé, évoquant le retrait de manuels scolaires français d’histoire-géographie utilisés dans plusieurs établissements d’enseignement français. La raison : dans les pages consacrées à la géographie du royaume, ces livres contenaient des cartes dans lesquelles le Sahara occidental était séparé du reste du pays par une ligne en pointillés. Les quelques manuels incriminés ont donc été rapidement retirés.

Cette réactivité s’explique en partie par l’existence d’un précédent similaire, au mois de décembre 2021, et qui a en quelque sorte servi aux différents acteurs de galop d’essai. À l’époque, des inspections menées au sein de certains établissements français avaient mis en évidence la présence de manuels jugés non conformes aux standards marocains.

Proviseurs diplomates

Afin d’éviter une situation analogue dans d’autres collèges et lycées, une consigne du Service de coopération et d’action culturelle (SCAC) de l’ambassade de France, dont dépendent les établissements de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), a été émise, ordonnant aux établissements de procéder à des vérifications et, le cas échéant, de collecter les livres dans lesquels la carte du Sahara n’apparaît pas au complet. L’AEFE est par ailleurs rattachée au ministère des Affaires étrangères de l’Hexagone, lui octroyant presque de fait une dimension diplomatique.

Ainsi, et bien que les programmes et les différents outils pédagogiques employés soient les mêmes qu’en France, la « mission française » au Maroc prend bien soin de sélectionner des ouvrages ne laissant apparaître aucune frontière, fût-elle en pointillés, avec ce que le royaume considère comme ses provinces du Sud. Mais des erreurs de commande peuvent parfois arriver, obligeant l’administration à s’adapter rapidement à la situation. Au point, parfois, de convertir sur le tas certains proviseurs en diplomates.

Selon nos informations, un proviseur alors en poste dans un établissement français a notamment écrit aux enseignants d’histoire-géographie pour leur signifier que le SCAC exigeait la mise « hors circulation » de plusieurs manuels scolaires, de peur que l’établissement ne devienne « hors la loi ». Les faits remontent au mois de décembre 2021.

Pages collées

Après s’être rendue compte qu’une collection de livres utilisée pour les classes de 1ère STMG était non conforme aux exigences des autorités marocaines, l’administration a d’abord réclamé la récolte de tous les livres, avant de revoir sa stratégie en demandant aux professeurs de s’adapter. « La direction nous a demandé de trouver une solution. Certains ont demandé aux élèves d’arracher les pages ou de les coller, d’autres ont fait colorier les cartes du Maroc pour que n’apparaisse qu’un territoire », raconte un ancien professeur d’histoire-géographie d’un établissement français.

Si la problématique n’est pas nouvelle, plusieurs professeurs interrogés attestent d’un changement de ton de l’administration à leur égard sur le sujet de l’intégrité territoriale du royaume depuis environ deux ans.

Un calendrier assez peu surprenant, en ce qu’il correspond à la reconnaissance américaine de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, au mois de décembre 2020. Fort du soutien de la première puissance mondiale, le Maroc adopte désormais un ton nettement plus offensif et exige de ses partenaires, la France en tête, qu’ils franchissent le pas d’un soutien plus affirmé à ses positions quant à la marocanité du Sahara.

« Nous avons toujours fait attention à ce sujet, mais nous sommes aujourd’hui encore plus attentifs qu’avant », témoigne un autre professeur d’histoire-géographie, qui a réclamé que son identité, ainsi que celle de l’établissement dans lequel il exerce, ne soient pas dévoilées.

Symboles

L’attention portée à la représentation du territoire du royaume dépasse d’ailleurs largement les limites des milieux scolaires. Un expatrié français arrivé en voiture au Maroc en provenance de l’Espagne au mois d’août dernier raconte par exemple avoir été contraint par la douane marocaine de déballer un tableau qu’il transportait représentant une carte de l’Afrique, afin de prouver que celle-ci ne comportait aucune frontière avec le Sahara. Et il n’est pas rare que des magazines importés contenant des cartes non conformes soient bloqués en douanes.

Autre épisode, en apparence anecdotique, mais finalement symptomatique de l’importance qu’accorde le royaume à sa géographie : lorsque le département d’État américain publie en juin 2021 son rapport sur le trafic d’êtres humains, médias et internautes scrutent avec attention une carte de l’Afrique, et se félicitent que le Sahara soit bel et bien intégré au Maroc.

Beaucoup dans le royaume y ont aussitôt vu la confirmation par Joe Biden de la décision de reconnaître la marocanité du Sahara prise par l’administration Trump, alors que certains redoutaient une possible inflexion du nouveau locataire de la Maison-Blanche sur le sujet.

Conclusion abusive, alors que ladite carte n’apparait qu’à la page 78 d’un rapport épais de 600 pages, et qui traitait de tout autre chose que des frontières du Maroc ? Peu importe : pour Rabat, en la matière, tous les symboles sont devenus bons à prendre.