Diplomatie marocaine - Relations internationales

En pleine crise entre le Maroc et l’Allemagne, DIE, un influent think tank allemand, publie un article proposant au nouveau gouvernement d’adopter une nouvelle approche de coopération à long terme entre les deux pays. Un clin d’œil à la diplomatie marocaine ? Une réplique à la récente étude du groupe de réflexion de SWP, qui a appelé l’Europe à freiner l’hégémonie du royaume en Afrique ? Éclairage avec les réponses d’une source allemande informée à Rabat

Le prochain gouvernement allemand a besoin d’une approche de coopération à long terme avec le Maroc. C’est ce qu’estime une analyse publiée le 22 novembre par l’Institut allemand de développement (Deutsches Institut für Entwicklungspolitik, DIE).

Classé parmi les think tanks les plus influents dans le monde dans le domaine des politiques de développement, DIE soutient que « le Maroc est un pays confiant qui souhaite développer ses relations avec le reste de l’Afrique et attirer les investissements des acteurs mondiaux. »

 

Selon le groupe de réflexion, dont l’une des missions et de conseiller les décideurs « sur la meilleure façon d’organiser la politique et la coopération mondiales », peut-on lire sur son site, le Nouveau modèle de développement du Maroc offre un terrain propice à une coopération entre les deux pays, notamment dans la « transition vers une économie respectueuse du climat », l’éducation et l’investissement.

« Les deux gouvernements devraient être conscients des avantages communs de la coopération dans ces domaines et de la poursuite des projets existants sur la politique climatique, l’énergie solaire et éolienne et la production d’hydrogène. Ici, les relations bilatérales pourraient bientôt développer à nouveau leur plein potentiel », ajoute le texte, qui propose aussi de soutenir la transition en Tunisie.

Signé par deux chercheurs reconnus dans leur domaine, Mark Furness et Annabelle Houdret, l’analyse intervient dans un moment très particulier : la formation du nouveau gouvernement allemand, lequel aura à se pencher sur une crise diplomatique inédite avec Rabat.

« Malheureusement, les relations diplomatiques germano-marocaines et la poursuite de la coopération sont actuellement largement suspendues après une série de désaccords, également concernant le statut du Sahara occidental », rappellent les auteurs de l’article, qui déplorent que « la confiance qui s’est construite au cours de plus de 40 ans de coopération fructueuse dans les domaines des énergies renouvelables, de la politique environnementale, de la sécurité et du commerce [soit] ainsi mise à l’épreuve. »

Est-ce un clin d’œil à Rabat ? « Cet article est l’expression d’une culture du débat ouvert en Allemagne. Dans les médias comme dans la science, il existe à tout moment une multitude d’opinions et de débats différents. Ceux-ci ne sont pas nécessairement liés à la politique du gouvernement fédéral, mais souhaitent bien entendu le conseiller et l’influencer », répond au Desk une source informée de la communauté germanique au Maroc.

Notre interlocuteur affirme que « indépendamment de cela, le nouveau comme l’ancien gouvernement allemand est intéressé par une coopération étroite avec le Maroc et espère une reprise du dialogue. »

Les raisons d’une crise inédite

Depuis huit mois, les relations entre le royaume et l’Allemagne traversent une crise sans précédent. Après avoir accumulé plusieurs griefs à l’endroit de Berlin, le département de Nasser Bourita a décidé rompre les relations diplomatiques avec son partenaire européen.

La rupture a été médiatisée début mars quand, faisant l’objet d’une fuite, une lettre du ministère des Affaires étrangères a demandé à l’ensemble du gouvernement de Saâdeddine El Otmani de suspendre « tout contact avec l’ambassade d’Allemagne à Rabat ».

Ainsi, les « départements ministériels et l’ensemble des organismes qui relèvent de leurs tutelles sont priés de bien vouloir suspendre tout contact, interactions ou action de coopération, en aucun cas ou sous aucune forme, aussi bien avec l’ambassade d’Allemagne au Maroc qu’avec les organismes de coopération et les fondations allemandes qui lui sont liés », indiquait le document.

Selon une source proche de l’ambassade allemande, cette rupture a pris de court Berlin, « non pas tant à cause des raisons justifiant le gel des relations que par la manière dont cela a été fait […] Rien n’avait été dit à l’ambassadeur à Rabat »

Et aux yeux de la diplomatie marocaine, les raisons ne manquent pas. En mai 2021, déplorant des « actes hostiles et les actions attentatoires à l’égard des intérêts supérieurs du royaume », le ministère des Affaires étrangères a annoncé le rappel de son ambassadrice, actant ainsi publiquement la rupture.

« L’Allemagne s’est démarquée par une attitude négative sur la question du Sahara marocain.  Son activisme antagonique, à la suite de la Proclamation présidentielle américaine reconnaissant la souveraineté du Maroc sur son Sahara, est un acte grave qui demeure jusqu’à présent inexpliqué », reprochait le ministère dans un communiqué diffusé le 6 mai, faisant allusion à la réunion à huis clos du Conseil de sécurité demandée par l’Allemagne à la suite de la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté du Maroc sur le Sahara en décembre 2020.

Autre raison de la colère de Rabat : la « complicité » de Berlin « à l’égard d’un ex-condamné pour des actes terroristes [Mohamed Hajib], notamment en lui divulguant des renseignements sensibles communiqués par les services de sécurité marocains à leurs homologues allemands. »

Rabat en veut aussi aux autorités allemandes de marginaliser son rôle dans la résolution du conflit libyen, comme en témoigne sa mise à l’écart de la conférence de Berlin en janvier 2020. « Un acharnement continu à combattre le rôle régional du Maroc, notamment sur le dossier libyen, en tentant d’écarter, indûment, le Royaume de certaines réunions régionales consacrées à ce dossier comme celle tenue à Berlin », détaillait le communiqué.

Une rupture qui « ne correspond pas aux règles du jeu diplomatique »

Pour cette source allemande informée au Maroc, Berlin veut tourner la page de la crise et attend désormais des « signaux » de Rabat. « Cette reprise du dialogue implique bien sûr de se parler, ce qui est actuellement bloqué par le comportement du gouvernement marocain d’une manière qui ne correspond pas aux règles du jeu diplomatique. Il est maintenant de la responsabilité des autorités marocaines d’envoyer également des signaux de leur côté pour montrer qu’il existe un intérêt pour le dialogue. La partie allemande a toujours été et reste ouverte à cet égard », estime-t-elle.

Selon l’analyse publiée le 22 novembre, il est indiqué que « le nouveau gouvernement allemand peut jouer un rôle positif en soutenant la transition en Tunisie et au Maroc sans compromettre des principes clés tels que la justice sociale, les droits de l’homme et l’ouverture des échanges économiques. »

Et d’ajouter, sans s’appesantir sur le sujet de discorde entre les deux pays : « Si l’Allemagne doit être prête à cesser sa coopération si ces principes sont sérieusement menacés, elle doit également accepter que les discussions sur les questions de souveraineté et de modèles démocratiques de gouvernement risquent d’être difficiles », propose le texte, qui invite l’Allemagne à « éviter l’hypocrisie » si elle veut engager un dialogue sur ces questions, « notamment dans les domaines de la migration et de la protection commerciale, où des déclarations de principe dissimulent souvent une politique d’exclusion. »

 

Deux think tanks, deux lectures

Une analyse dont les conclusions s’opposent aux propositions récemment émises par un autre think tank financé par le ministère des Affaires étrangères allemand. Sorti en novembre 2020 avant de défrayer la chronique en juin au Maroc, le texte publié par l’Institut allemand des affaires internationales et de sécurité (Stiftung Wissenschaft und Politik, SWP) a appelé l’Europe à freiner l’hégémonie du Maroc en Afrique au profit de l’Algérie et de la Tunisie.

Intitulé « LAlgérie et la Tunisie cherchent à suivre le Maroc », le document décrit le royaume comme étant « l’État maghrébin avec la politique sub-saharienne la plus sophistiquée » et émet des recommandations de nature à « contrecarrer le sentiment d’inutilité croissante de l’Algérie, renforcer l’économie tunisienne, relativiser les ambitions hégémoniques du Maroc et ainsi atténuer la dynamique négative de la rivalité. »

Quant à la question du Sahara, l’auteure de l’étude, Isabelle Werenfels, Senior Fellow Moyen-Orient et Afrique de SWP, estime que « l’Europe doit continuer à soutenir la ligne de l’ONU et ne pas souscrire à des initiatives unilatérales françaises ou espagnoles. »

Hautement médiatisé au Maroc, le rapport a fait grincer des dents à Rabat. L’article de DIE est-il une réponse à l’étude publiée par SWP ? « Ces deux articles s’inscrivent dans une culture du débat ouvert en Allemagne », répond notre source initiée des arcanes de l’influent think tank allemand.

« Mais l’article du SWP, en particulier, a été sciemment mal interprété, y compris au Maroc. L’article constate au contraire que le Maroc s’est nettement mieux développé que ses voisins du Maghreb au cours des dernières années, ce qu’il juge positif. En outre, l’article se contente d’affirmer que le gouvernement fédéral devrait continuer à renforcer sa coopération non seulement avec le Maroc, mais aussi avec l’Algérie et la Tunisie, afin d’assurer une situation stable dans l’ensemble du Maghreb », considère-t-elle, qui ajoute que « le spin créé par les médias marocains, selon lequel l’article recommande que le gouvernement fédéral ne coopère plus avec le Maroc, est à notre avis faux. »

 

Pour notre source, la recommandation de SWP s’inscrit dans un contexte particulier : « Le Maroc s’est vu promettre par l’Allemagne la somme record globale de plus d’un milliard d’euros dans le cadre de la coopération internationale. L’expression d’une grande confiance de l’Allemagne envers le Maroc. »

 

« Mais cette promesse a également encouragé des voix dans le débat à ne pas oublier le reste de la région par le biais du Maroc. En outre, il est important de savoir que le SWP est certes financé par le ministère allemand des Affaires étrangères, mais que les chercheurs y travaillent en toute indépendance et qu’il n’y a pas de directives de contenu de la part du ministère », affirme-t-elle.

Sur le principal sujet de discorde, la question du Sahara, DIE botte en touche. « Du point de vue du gouvernement fédéral allemand, la question du Sahara n’est pas une affaire bilatérale entre l’Allemagne et le Maroc, mais ne peut être résolue qu’au niveau multilatéral dans le cadre du processus onusien en cours, sur la base du droit international public », explique notre interlocuteur.

Si elle « soutient pleinement le processus de l’ONU », l’Allemagne, explique la même source, « est naturellement intéressée, comme d’autres partenaires européens, à soutenir une approche constructive de la partie marocaine dans l’esprit du processus de l’ONU et de ses règles du jeu. »

« Cette attitude n’a pas changé, elle est profondément ancrée dans la conception de l’État de droit de la République fédérale d’Allemagne », soutient-elle, estimant que « les questions bilatérales entre le Maroc et l’Allemagne se situent à un autre niveau, au-delà de la question multilatérale du Sahara relevant du droit international. » « Dans ce cas, nous parlons par exemple d’économie, d’énergie, de développement, de sécurité, etc. »

 

Une attitude qui ne semble pas convenir au Maroc, pour qui le dossier du Sahara est indissociable des questions bilatérales. Dans un entretien accordé récemment à un journal allemand, le vice-ministre des Affaires étrangères Niels Annen a confirmé qu’il « n’y a pratiquement plus de communication » entre les deux pays et que « l’ambassadeur d’Allemagne proposé à Rabat attend son agrément depuis cinq mois ».

« La partie marocaine semble s’attendre à ce que l’Allemagne change sa position sur le conflit du Sahara occidental, c’est-à-dire qu’elle reconnaisse que cette zone annexée fait partie du Maroc. Tous les gouvernements fédéraux précédents partagent l’avis juridique des Nations Unies selon lequel le statut du Sahara occidental n’a pas été clarifié », a-t-il déclaré, ajoutant que « la définition finale de ceci fait l’objet d’un processus de négociation sous la direction de l’ONU. »

 

 « Le gouvernement fédéral soutient tous les efforts sur la base des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, afin de parvenir à une solution juste, durable et mutuellement acceptable du conflit. Nous accepterons bien entendu une telle solution », a-t-il conclu.

 

Un mauvais signal envoyé à Rabat, selon les observateurs, bien que cette interprétation ne soit pas partagée auprès de nos sources au sein de la communauté allemande dans le royaume. Et la récente visite de l’ambassadeur allemand à Melilla en pleine crise n’est pas de nature à apaiser les tensions, estime-t-on par ailleurs.

La coprésidente des Verts allemands, Annalena Baerbock, va devenir la nouvelle ministre des Affaires étrangères du pays. Elle sera la première femme à occuper un tel poste. L’écologiste quadragénaire, candidate malheureuse de son mouvement à la chancellerie lors des dernières élections législatives, prendra ses fonctions début décembre dans le cadre de la coalition gouvernementale formée avec les sociaux-démocrates et les Libéraux, pour ouvrir l’ère post-Merkel dans le pays.

Annalena Baerbock remplacera au ministère des Affaires étrangères le social-démocrate Heiko Maas. Elle sera aussi la personne la plus jeune à occuper la fonction dans l’histoire allemande. Durant la récente campagne électorale, la responsable écologiste avait promis d’insuffler un vent nouveau à la diplomatie allemande, notamment en adoptant un ton plus ferme vis-à-vis de la Russie et de la Chine.

L’Union européenne a besoin « d’une politique étrangère allemande forte, ouverte mais active », avait plaidé Annalena Baerbock en mai devant le think-tank Atlantic Council. Cette juriste spécialiste de droit international estime qu’  « une autre approche vis-à-vis des régimes autoritaires » est « une question clé » pour le futur gouvernement, « pour notre sécurité et pour nos valeurs ».

Qu’en sera-t-il vis-à-vis du Maroc ? « Niels Annen est au moins parti. Le ministère des affaires étrangères est désormais vert. Cela est peut être bien pire ou bien mieux… », a commenté notre source à Rabat.