Faute d’avoir assisté lui-même au sommet de la Ligue arabe des 1er et 2 novembre à Alger, le roi Mohammed VI invite officiellement le président algérien Abdelmadjid Tebboune à Rabat. Après deux années de report, les travaux du 31e sommet de la Ligue arabe, organisé à Alger, ont finalement eu lieu et pris fin ce 2 novembre. Sans surprise, cette rencontre a surtout été marquée par la relation ultra-conflictuelle entre les deux voisins du Maghreb, le Maroc et l’Algérie, et ce avant même le lancement officiel de celle-ci.
Faux retour anticipé du chef de la diplomatie marocaine, Nasser Bourita ; accueil minimaliste, voire vexatoire de la délégation marocaine par les autorités algériennes (dont un placement en bout de table lors du dîner officiel) ; comportement très suspect d’un garde du corps algérien qui aurait tenté d’enregistrer discrètement les conversations de l’entourage du ministre marocain ; carte du royaume tronquée diffusée sur la chaîne gouvernementale AL24 ; annulation de la participation du roi Mohammed VI « pour des considérations bilatérales et régionales »… Les meilleurs ennemis, au caractère résolument méditerranéen, ne se seront décidément rien épargnés.
In fine, nombreux sont ceux qui préfèreront retenir la rencontre (tant attendue) entre Nasser Bourita et le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, lors de l’ouverture du sommet, où leur poignée de main était très cordiale et les sourires éminemment chaleureux. Mais aussi l’invitation adressée par le souverain marocain au président Tebboune afin que celui-ci se rende au Maroc pour « dialoguer ».
En attendant un éventuel rapprochement entre les deux pays, tous ces retournements de situation (en moins de 48h) font écho aux grandes heures des sommets panarabes du siècle dernier, particulièrement agités et trépidants. JA a remonté le temps. Florilège.
1965 : l’opération « Oiseaux »Le 13 septembre 1965, pour la troisième fois en quelques mois, les chefs d’État de la Ligue arabe, ainsi que leurs chefs de renseignement et des armées, se réunissent secrètement dans un grand hôtel de Casablanca. Au menu des discussions : le lancement d’une attaque contre Israël, la stratégie militaire à adopter et la création d’un commandement arabe commun.
Or, en amont, le roi Hassan II, avec la complicité d’Israël, a lancé l’opération « Oiseaux ». Plusieurs dizaines d’agents israéliens du Mossad et du Shin Bet (service de sécurité intérieure) sont déjà installés au dernier étage de l’hôtel pour écouter ces échanges ultra-confidentiels.
Finalement, la veille de la première réunion entre les leaders arabes, le roi est pris de panique. Il craint que les Israéliens ne soient démasqués et leur demande de quitter les lieux. Mais Hassan II enregistrera tout de même les discussions avec ses homologues et remettra les bandes en main propre aux agents de l’État hébreu. Meir Amit, le chef du Mossad de l’époque, décrira plus tard cette opération marocaine comme « l’une des gloires suprêmes du renseignement israélien ».
Grâce aux enregistrements de Hassan II, les autorités israéliennes ont notamment appris que le corps de blindés égyptiens est dans un état pitoyable, et que les pays arabes sont foncièrement désunis, particulièrement l’Égypte et la Jordanie. Deux ans plus tard, en 1967, Israël attaque quatre pays arabes (Égypte, Syrie, Liban, Jordanie) et remporte la guerre en six jours. Un événement qui amorcera le déclin du panarabisme.
1982 : le sommet de Fès, ou la paranoïa de Saddam et d’AssadEn 1982, Hassan II organise le 12e sommet de la Ligue arabe à Fès, la capitale spirituelle du royaume. Objectif de la rencontre : préparer un plan de paix avec Israël. Tout le monde répond présent, exceptés l’Égypte et le sultanat d’Oman. Le moment fort, historique, de cette rencontre, c’est l’accolade entre Saddam Hussein, président de l’Irak, et Hafez al-Assad, son homologue syrien, dont la photo fera le tour du monde.
Les deux leaders baasistes sont des rivaux de longue date et se détestent ouvertement depuis que l’Irak est en conflit armé avec l’Iran, un pays soutenu vaille que vaille par la Syrie. Réunir ces deux personnalités au même endroit et dans un esprit fraternel tient donc de l’exploit. Ce moment de grâce ne durera bien sûr que quelques minutes, puisque les deux présidents passeront leur séjour marocain à montrer l’étendue de leur paranoïa (et de leurs similitudes).
Saddam et Assad sont venus avec leur propre nourriture et leurs moutons, que leurs serviteurs respectifs doivent égorger devant eux, car ils redoutent tous deux d’être empoisonnés. De même, les deux présidents – lunettes noires vissées sur le nez comme au poker – sont entourés de garde du corps surarmés, tandis que le roi Hassan II, serein et détendu, se déplace seul, en djellaba blanche.
Pour clôturer l’événement, le roi organise une sorte de défilé militaire et invite Saddam Hussein et Hafez al-Assad à monter sur un camion pour saluer la foule. Au même moment, il donne le coup d’envoi d’une fantasia, un spectacle marocain où des cavaliers reconstituent des scènes de bataille en tirant (notamment) des coups de feu. Les deux baasistes ont eu la frayeur de leur vie et bien cru qu’ils allaient se faire tuer.
1986 : le sommet d’Ifrane, ou l’art du déguisement de Shimon Peres
Au sein du Mossad et des services de sécurité israéliens, le déguisement est monnaie courante. C’est même tout un art. En 1973, par exemple, un certain Ehoud Barak, lieutenant-colonel dans les forces spéciales (qui sera ensuite Premier ministre de 1999 à 2001), s’est grimé en jolie femme brune lors d’un raid contre l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) au Liban.
Le déguisement n’est pas seulement une spécialité des espions ou des combattants, c’est aussi celle des hommes politiques israéliens, particulièrement Shimon Peres. Au milieu des années 1970 déjà, ce dernier, alors ministre de la Défense, se rendait en Jordanie pour négocier un traité de paix avec une fausse moustache, une fausse barbe, une perruque et un Borsalino.
Pour préparer le sommet d’Ifrane avec Hassan II, il a été encore plus loin. Pendant plusieurs jours d’affilée, Peres, qui est alors Premier ministre, se rend secrètement au Palais royal par une porte dérobée déguisé… en femme. C’est lui-même qui le révèlera sur son compte Facebook en 2014 à l’occasion de Pourim, une fête religieuse où les juifs se déguisent.
BIO-PERES-HASSAN II
NATI HARNIK/AFP
Ce fameux sommet d’Ifrane suscitera la colère de Damas, qui rappelle son ambassadeur en poste à Rabat. Depuis Tripoli, en Libye, où il est en voyage officiel, Hafez al-Assad ira même jusqu’à publier un communiqué incendiaire à l’égard du Maroc. Résultat : Hassan II rompt son alliance avec Kadhafi pour « inélégance », tandis que le « Guide » de la Jamahiriya qualifie le souverain de « traître ». Une véritable réaction en chaîne.
1987 : la conférence du Conseil national palestinien, ou le coup de poignard algérienUn an après le camouflet du sommet d’Ifrane, qui a poussé Hassan II à démissionner de la Conférence du sommet arabe, Alger organise la conférence du Conseil national palestinien. Pour rester dans le jeu, Rabat y envoie une importante délégation, conduite par le directeur du cabinet royal de l’époque, Ahmed Bensouda.
ALGERIA: Palestinian National Council
TORREGANO/SIPA
L’événement s’ouvre avec un discours conjoint de Chadli Bendjedid, président algérien, et Yasser Arafat, le dirigeant de l’OLP. Seulement voilà, à la fin de leur prestation, une troisième personne est invitée à les rejoindre sur scène : Mohamed Abdelaziz, le président de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) et le chef du Front Polisario. Lequel lance un retentissant : « Frères palestiniens, nous subissons au Sahara ce que vous subissez de la part d’Israël ! »
Vexée, gênée, la délégation marocaine ne sait absolument plus ni où se mettre, ni quoi faire. Quant à Hassan II, dès le soir même, il se fend du discours le plus virulent de son règne, en dialecte marocain, une grande première. Très remonté, il ne mâche pas ses mots, et menace même les Marocains de maculer de « l’innommable » les façades de leurs maisons si jamais ils osaient encore évoquer les Palestiniens. Évidemment, il n’en a jamais rien été, et le souverain a continué à œuvrer pour la paix au Proche-Orient.