Après une longue période de froid entre Rabat et Paris, plusieurs indices dessinent un timide début de détente. Pourtant, les principaux points de discorde entre les deux capitales ne sont toujours pas résolus.
Les spéculations vont bon train sur un potentiel réchauffement des relations entre Paris et Rabat, plongées depuis plusieurs mois dans une crise qui ne dit pas son nom. Les espoirs de voir ces deux pays historiquement et traditionnellement amis se rapprocher sont tels que, des deux côtés de la Méditerranée, on guette le moindre signe d’une amélioration.
C’est ainsi que la venue du ministre des Affaires étrangères (MAE) marocain Nasser Bourita au Forum de Paris sur la Paix, dont la 5e édition s’est tenue les 11 et 12 novembre au Palais Brongniart, en plein cœur de la capitale française, a été interprétée comme « un signe de détente » par plusieurs connaisseurs de la scène diplomatique.
« C’est la première fois depuis la création de ce forum en 2018 que le MAE marocain fait le déplacement, en personne. C’est un acte symbolique, une manière de montrer à la France que le royaume est ouvert à une refonte des relations », note l’un d’eux.
Pour autant, si le ministère de Nasser Bourita, très actif sur les réseaux sociaux, a largement communiqué autour des nombreux échanges bilatéraux qui se sont déroulées en marge du Forum – avec, entre autres, James Cleverly, secrétaire d’État aux Affaires étrangères du Commonwealth et du Développement du Royaume-Uni, avec Aïssata Tall Sall, ministre des Affaires étrangères du Sénégal, avec Josep Borell, le chef de la diplomatie européenne et vice-président de la Commission européenne… -, aucune mention n’a été faite d’une rencontre, même purement protocolaire, avec un officiel français.
Circulez !Plus tôt au cours du mois de novembre, lors du sommet de la Ligue arabe à Alger, la manière dont le chef de la diplomatie marocaine avait répondu à la journaliste de Sky News qui l’interrogeait sur la crise entre la France et son pays avait déjà été lue comme un signe d’apaisement : le MAE, d’ordinaire très direct, avait alors fait l’impasse sur le fond du problème – à savoir le Sahara, ainsi que le grand malentendu qui existe dans les plus hautes sphères -, et s’était contenté d’évoquer la question des restrictions sur les visas octroyés aux Marocains. Il a estimé à ce propos qu’il s’agissait d’« une décision souveraine de l’État français », qui ne nécessitait pas de réponse officielle marocaine puisque « les Marocains eux-mêmes » y ont répondu. Une manière diplomatique de faire comprendre à son auditoire : « Circulez, il n’y a rien voir ! »
Côté français, des gestes en direction de Rabat sont également concédés : lors du Conseil de sécurité qui s’est déroulé fin octobre à New York, la France, bien qu’en pleine de lune de miel avec Alger, est restée fidèle à sa position et a voté en faveur de la résolution 2654 qui souligne sans équivoque la responsabilité de l’Algérie dans le conflit au Sahara occidental. Paris a mis en avant la nécessité de relancer les tables rondes, en présence de toutes les parties prenantes – le Polisario, le Maroc, l’Algérie ainsi que la Mauritanie. Ce qui, aux yeux du royaume, constitue une belle avancée diplomatique. Dans la foulée, l’ambassadeur français à l’ONU, Nicolas de Rivière, a tenu à rappeler que la position de la France sur le dossier du Sahara n’a jamais changé, et a réitéré le soutien constant de son pays au plan d’autonomie proposé en 2007 par le Maroc.
Sauf que, aux yeux du royaume, cette position qui consiste à dire que le plan marocain est une solution crédible pour la résolution du conflit ne suffit plus. D’autant que Rabat bénéficie désormais de soutiens autrement plus avancés de la part de l’Espagne, des États-Unis, de l’Allemagne, des Pays Bas ou de la Belgique. « Ce que l’on veut entendre, c’est que la solution marocaine est “la plus crédible” », estime un diplomate marocain à la retraite. Un engagement qu’Emmanuel Macron, déterminé à rester dans les mémoires comme le président français qui a réussi à résoudre la question algérienne, ne semble pas prêt à prendre. Du moins pour le moment.
PrérequisEn revanche, il semblerait que le message concernant le profil des ambassadeurs nommés à la tête de la chancellerie à Rabat ait été bien reçu par l’Élysée qui, comme l’ont confirmé plusieurs sources proches du président, « cherche très activement des candidats de haut niveau, du type ex-ministre ou ancien conseiller du Palais présidentiel, pour remplacer Hélène Le Gal » qui a quitté le Maroc à la fin de l’été.
Cette nomination, très scrutée par les Marocains – qui eux non plus n’ont pas encore remplacé l’ancien ambassadeur du royaume à Paris, Mohamed Benchaaâboun – est d’ailleurs le prérequis à la visite tant attendue du président Macron, annoncée depuis trois ans, et dont l’organisation a de nouveau été évoquée dans la foulée de sa visite officielle en Algérie à la fin du mois d’août.
« Les discussions autour de l’organisation d’un voyage d’Emmanuel Macron au Maroc sont de nouveau à l’ordre du jour : plusieurs feuilles de route avaient déjà commencé à être évoquées à diverses reprises, même avant le Covid. Il suffit de les réactiver et d’en choisir une », croit savoir le lobbyiste franco-marocain Hamza Hraoui, réputé proche de Renaissance, le parti du président. « Cela peut aller vite, et se dérouler dès janvier ou février. »
AnnulationÀ condition qu’aucun couac protocolaire ou malentendu ne vienne assombrir à nouveau le tableau. À l’instar de l’annulation, le week-end dernier, des conférences que devait tenir à Rabat et Casablanca l’écrivain Michel Houellebecq. Selon la librairie organisatrice de l’évènement, l’écrivain français aurait annulé sa venue au tout dernier moment au motif que «les autorités françaises lui ont déconseillé de se rendre au Maroc ».
« C’est très maladroit de la part du Quai d’Orsay, car cela laisse entendre que Houellebecq aurait pu être en danger au Maroc, ou bien que les sécuritaires marocains n’auraient pas été à la hauteur pour que son séjour se passe bien », commente le diplomate marocain à la retraite. Comme l’a rappelé l’écrivain Tahar Ben Jelloun : « Les autorités françaises ont eu tort car s’il y a un domaine qui fonctionne très bien chez nous, c’est celui de la sécurité. »