« Maroc : diplomatie tous azimuts » (2/5). Malgré des échanges économiques encore timides entre le royaume et l’Asie, ce continent soutient presque unanimement la position marocaine sur le Sahara aux Nations unies. Rabat, de son côté, ne ménage pas ses efforts pour resserrer ses liens avec tous les pays asiatiques. Le 17 mars dernier, Rabat inaugurait l’ambassade des Philippines en présence du ministre philippin des Affaires étrangères, Teodoro Locsin Jr. et de l’ambassadeur Leslie J. Baja. Dans la foulée, le chef de la diplomatie marocaine, Nasser Bourita, signait avec son homologue philippin un accord et deux mémorandums d’entente relatifs à l’aviation civile et l’établissement d’un mécanisme de consultations politiques entre les deux pays, notamment en matière de relations internationales.
Pour clore cette journée chargée, Teodoro Locsin Jr. a exprimé au cours d’un point presse le soutien « ferme » des Philippines à l’intégrité territoriale du royaume, en qualifiant de « bonne base » le plan d’autonomie marocain pour le Sahara.
Le clan Marcos et le doux souvenir du royaumeLe royaume et les Philippines, deux grands alliés des États-Unis, ont noué des relations officielles en 1975, l’année de la Marche verte vers le Sahara organisée par le roi Hassan II. En 2025, les deux pays célèbreront donc cinquante ans de relations diplomatiques. Une première ambassade des Philippines avait été ouverte à Rabat, avant d’être fermée en 1986, juste après la révolution du pouvoir populaire et l’arrivée de la présidente Corazon Aquino à la tête du pays, qui ouvrit un chapitre politique mouvementé aux Philippines.
À cette époque, le président-dictateur philippin Ferdinand Marcos est renversé et accusé d’avoir pillé pas moins de 10 milliards de dollars dans les coffres de l’État. Lui et son épouse, Imelda – surnommée la « Marie-Antoinette des Tropiques » –, ont été des proches de la famille royale alaouite, au point de faire partie des invités au mariage de la princesse Lalla Meryem à Fès en 1984.
Contraints à l’exil, Ferdinand Marcos et sa famille se sont donc vus proposer l’asile au royaume par le souverain Hassan II. Si ces derniers ont finalement opté pour Hawaï, cela n’empêchera pas Imelda de faire du business au Maroc et d’être persona grata à la Cour, et ce même après la mort de son mari en 1989. C’est elle qui aurait eu la mainmise sur les magasins duty free de tous les aéroports du Maroc pendant au moins quinze ans, où sont encore employés aujourd’hui une majorité de ressortissants philippins.
Les relations entre le Maroc et les Philippines ont connu un nouveau tournant en 2017, sous le mandat de Rodrigo Duarte, avec l’ouverture à Manille d’une ambassade marocaine. Le 10 mai dernier, le clan Marcos est finalement revenu au pouvoir trente-six ans après avoir été chassé par la révolte populaire. Le fils du défunt dictateur, Ferdinand Marcos Jr., a été élu président avec 30 millions de voix sur 67 millions d’électeurs. Le 18 mai, le roi Mohammed VI lui a d’ailleurs adressé un message de félicitations, signe que les relations entre les deux familles sont toujours au beau fixe.
L’Asie, un réservoir de voix onusiennes ?L’histoire des relations entre le royaume et les Philippines revêt un parfum particulier. C’est également le cas avec d’autres pays du continent asiatique : la Chine pour commencer, dont le Maroc a été le premier pays africain à reconnaître sa république populaire en 1958, ou encore le Vietnam avec qui les Marocains ont partagé les luttes anticoloniales.
Un atout mémoriel non négligeable lorsqu’il s’agit de glaner des voix sur le dossier du Sahara aux Nations unies (ONU). Car pour le royaume, c’est d’abord de cela qu’il s’agit : « Cette question – du Sahara – aiguille une partie de la politique étrangère et détermine certains choix d’alliances diplomatiques. Le Maroc considère ainsi que chaque petit pays compte, car il représente une voix à l’ONU », écrit Yousra Abourabi, chercheuse en sciences politiques, dans l’ouvrage Le Maroc au présent (2015).
Le Maroc espère devenir une plateforme africaine et moyen-orientale pour les pays investisseurs, comme avec le Japon à travers l’accord Ticad
Juste après l’avènement du règne de Mohammed VI en 1999 – dont le Sahara est l’alpha et l’oméga de sa politique étrangère –, le Maroc se fait une place dans différents forums interrégionaux avec l’Asie : le Forum de coopération sino-africaine (FOCAC) lancé en 2000, le Forum de coopération sino-arabe (FSA) lancé en 2004, le nouveau partenariat stratégique Afrique-Asie (NAASP) fondé en 2005, le dialogue de coopération asiatique (ACD) créé en 2002 et au sein duquel le Maroc est devenu partenaire au développement en 2008, l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) dont le Maroc est membre observateur depuis 2008, ou encore le dialogue Asie-Moyen-Orient (AMED) créé en 2004.
« À travers cette stratégie, le Maroc espère devenir une plateforme africaine et moyen-orientale pour les pays investisseurs, comme c’est déjà le cas avec le Japon à travers l’accord Ticad [Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique]. Sur le plan politique, il espère un soutien sur ses questions territoriales », poursuit Yousra Abourabi.
Une stratégie payante, puisqu’aujourd’hui la reconnaissance de la République sahraouie arabe démocratique (RASD) et le soutien au Polisario ont quasiment disparu du continent asiatique. Excepté en Corée du Nord et dans une moindre mesure en Indonésie et au Vietnam, deux pays qui conservent une position nuancée : consensus entre les différentes parties dans le cadre de l’ONU et soutien du format dit des « tables rondes » défendu par le Maroc.
Depuis plusieurs années déjà, la diplomatie marocaine multiplie les rencontres avec ces deux États pour développer leurs échanges commerciaux et leur coopération. En 2021, le Maroc et le Vietnam, qui partagent soixante ans de relations, ont même décidé de se soutenir mutuellement au sein de plusieurs organismes internationaux, dont celui de la Francophonie, sans que les contours de ce soutien ne soient toutefois précisés.
Néanmoins, « malgré des liens liés au culte musulman, l’Indonésie n’est pas une priorité pour la diplomatie chérifienne. Au sein de l’ONU, le rôle des Indonésiens n’est pas très visible, ce n’est pas un pays qui joue un grand rôle sur le plan international. Les relations économiques entre les deux pays ne sont d’ailleurs pas très importantes », tempère Jawad Kerdoudi, président de l’Institut marocain des relations internationales (IMRI).
Inde, Chine, Japon : les priorités du MarocA contrario, l’Inde a été une priorité pour le royaume dès la fin des années 1990. À l’époque le gouvernement marocain d’alternance, dirigé par Abderrahman Youssoufi (Parti socialiste), s’est sensiblement rapproché du gouvernement indien, lui aussi d’obédience socialiste. Ce qui a finalement entraîné, de la part de l’Inde, le retrait de sa reconnaissance de la RASD au début des années 2000. « C’était particulièrement important pour le royaume que l’Inde, leader des pays non-alignés, comprennent la position marocaine sur le Sahara », ajoute Kerdoudi.
Cette évolution diplomatique de l’Inde tient aussi à la nature de la coopération économique avec le Maroc. Les Indiens sont de grands importateurs de phosphates marocains, et ont implanté une quarantaine d’entreprises au Maroc qui opèrent principalement dans l’industrie pharmaceutique – très porteuse au royaume – et l’industrie automobile. En 2018, c’est aussi l’Inde qui a entièrement accompagné la création d’une base de données biométriques sur l’ensemble de la population marocaine avec les autorités publiques, dont le ministère de l’Intérieur.
De façon générale, les puissances à l’instar du Japon et de la Chine préfèrent favoriser des zones géopolitiques stables pour asseoir leur domination et favoriser l’émergence de marchés
Les rapprochements du royaume avec l’Inde dictent même la conduite du royaume avec le Pakistan, seul État musulman doté de l’arme nucléaire. « C’est un pays qui intéresse les autorités marocaines mais du fait des conflits autour de la région du Cachemire entre les deux pays, le Maroc se contente d’avoir des relations normales avec les Pakistanais, surtout pas spéciales », analyse Jawad Kerdoudi.
La position pragmatique de l’Inde est partagée par un autre mastodonte de l’Asie : le Japon . »Un pays très conservateur qui a certainement compris que les opportunités étaient plus intéressantes avec le régime marocain plutôt qu’avec le Polisario », abonde Kerdoudi. À ce titre, le gouvernement japonais n’a jamais reconnu la RASD. « De façon générale, les puissances à l’instar du Japon, de la Chine tout comme les États-Unis préfèrent favoriser des zones géopolitiques stables pour asseoir leur domination et favoriser l’émergence de marchés », poursuit le spécialiste en relations internationales.
Pour l’instant, les échanges commerciaux maroco-japonais sont encore très déséquilibrés en faveur du Japon, mais c’est un pays qui investit dans l’électronique, l’automobile et même le social à travers le Japan Trust Fund, qui intervient dans les domaines liés à la santé sexuelle et reproductrice.
Les promesses chinoisesAvec la Chine, le royaume partage une même approche d’intégrité territoriale, en forme d’échange de bons procédés. Pékin ne reconnaît pas la RASD, et Rabat considère Taïwan comme une province chinoise. Le Maroc est considéré comme un pays pivot pour la Chine dans son gigantesque projet des « nouvelles routes de la soie ». Pour l’instant, les échanges bilatéraux ont seulement atteint 6 milliards de dollars en 2021, mais ils sont en hausse de 50 % depuis 2016.
Si plus de 80 projets d’investissements chinois sont actuellement en développement au royaume, certains d’entre eux – pourtant annoncés en grande pompe – ont déjà fait « pschitt », notamment la cité sino-marocaine Mohammed VI Tanger Tech, lancée en grande pompe en 2017. Au moment de la course aux vaccins contre le Covid-19, le Maroc a accepté de participer aux essais cliniques du vaccin chinois Sinopharm. À l’époque, les autorités marocaines avaient négocié une priorité sur la livraison des vaccins, puis à moyen terme une coopération sino-marocaine afin de mettre en place un hub dédié à la fabrication de vaccins au royaume, à Tanger plus précisément.
Pendant des mois, les médias marocains se sont montrés dubitatifs, craignant des promesses chinoises qui ne seraient pas tenues. Et finalement, le 12 juin dernier, une usine en kit dédiée à la mise en seringue de vaccins (35 000 tonnes de matériel), a été livrée au port de Casablanca par Shangaï. Un projet sur lequel les deux pays planchent depuis la crise sanitaire liée au covid-19. Le signe, peut-être, que les pays ont la volonté de poser les bases d’une véritable coopération.
Une volonté affichée, des échanges limitésLa Corée du Sud est également un pays qui intéresse particulièrement le Maroc, désireux de développer une coopération culturelle, technologique et financière avec ce pays. En 2018, les deux nations affichaient la volonté commune de « créer un nouvel élan » à leurs relations. Les Sud-Coréens avaient alors appuyé la prolongation du mandat de la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (Minurso) au Sahara, tout en soutenant la position marocaine sur le plan d’autonomie. Actuellement, le constructeur naval coréen Dae Sun Shipbuilding construit d’ailleurs un navire-citerne à 20 millions de dollars pour la société casablancaise Petrocab. Par ailleurs, au royaume, la Corée du Sud a implanté une trentaine d’entreprises.
Du côté des « petits pays » asiatiques – à l’instar de l’Azerbaïdjan, du Turkménistan ou encore du Kazakhstan, trois États gaziers et à majorité musulmane –, ils considèrent le Maroc comme l’un de ses principaux partenaires dans le monde arabe et soutiennent le plan d’autonomie marocain pour le Sahara à l’ONU.