Connu pour croiser le fer régulièrement avec ses homologues algériens sur l’épineuse question du Sahara, le représentant permanent du Maroc à l’ONU n’en demeure pas moins un diplomate optimiste, rêvant d’un Maghreb uni, dont l’impact serait bénéfique sur le développement et la stabilité de toute l’Afrique. Omar Hilale travaille beaucoup, dort peu et court autant que possible. Le matin, l’après-midi ou le soir, qu’importe, dès que son emploi du temps le lui permet, le représentant permanent du Maroc à l’ONU enfile ses baskets et avale les kilomètres. Pour décompresser, méditer et se recentrer, au milieu du tumulte et des incessantes sollicitations de son quotidien très chargé de visage onusien du royaume. Et pour réfléchir dans la solitude de la course à pied à ses interventions.
Né à Agadir en 1951, cet amoureux de piano et de musique classique a plongé dans le grand bain de la diplomatie très jeune, à 23 ans, en intégrant le département des Affaires étrangères dès la fin de ses études en sciences politiques, presque naturellement, tant son tropisme pour les relations internationales était précoce.
Depuis, celui qui parle de son métier de diplomate comme d’une passion dévorante n’a cessé d’enchaîner les responsabilités. Passé par l’ambassade du Maroc à Alger en début de carrière, cet homme méticuleux et perfectionniste a été ambassadeur à Singapour, en Nouvelle-Zélande, en Australie et en Indonésie, mais aussi secrétaire général du ministère des Affaires étrangères entre 2005 et 2008.
Avant d’être nommé, en 2008, représentant permanent du royaume à Genève, un poste qui a révélé au monde sa maîtrise du dossier du Sahara, essentiel pour le Maroc. Omar Hilale était d’ailleurs aux premières loges lors de la genèse du conflit puisque, comme l’a confié une source à JA, « il était étudiant à l’Université Mohammed-V à Rabat quand certains fondateurs du Polisario y faisaient leurs premières gammes de révolutionnaires ».
Six ans après, en 2014, il est nommé représentant permanent du Maroc aux Nations unies, à New York, où ce diplomate expérimenté défend ses dossiers avec enthousiasme, voire véhémence, selon le point de vue d’où l’on observe. Quand il estime que les intérêts du Maroc sont touchés, ce personnage d’ordinaire avenant, avec ses collègues comme avec son entourage, n’hésite pas à montrer les crocs. Au point que ses détracteurs l’ont surnommé le « sniper » ou le « pitbull » du royaume.
Grand lecteur, Omar Hilale est un amateur de littérature russe – Tolstoï, Tchekov, Dostoïevski – et française, tout particulièrement Victor Hugo. Mais aussi de biographies de personnages politiques historiques. Parmi ses livres de chevet, on trouve celle(s) de Napoléon Bonaparte, mais aussi Guerre et Paix ou Anna Karénine, côtoyant le fameux Diplomatie d’Henry Kissinger. Entretien exclusif avec un personnage étonnant.
Jeune Afrique : En quoi consiste au quotidien la fonction de représentant permanent du Maroc aux Nations unies ?Omar Hilale : Représentant permanent du Maroc n’est pas seulement une fonction : c’est l’honneur de servir mon roi, la fierté de représenter mon pays, l’exaltation de promouvoir le rayonnement diplomatique, culturel et civilisationnel du royaume et la passion dans la défense de ses intérêts et positions sur les différentes questions de l’agenda du conseil de sécurité, de l’Assemblée générale et de ses commissions.
Quelles sont vos priorités ?Bien évidemment, la question du Sahara marocain est la priorité de mes priorités. Cela ne veut pas dire que la diplomatie marocaine est « monocausale ». Bien au contraire, le Maroc accorde une grande importance aux diverses questions liées aux trois piliers de l’ONU, en l’occurrence la paix et la sécurité internationales, les droits humains et le développement.
Conformément à la vision clairvoyante de Sa Majesté le roi Mohammed VI, nous mettons en œuvre une diplomatie agissante, convaincante et proactive, qui promeut le consensus et construit des ponts entre les différentes positions. Il s’agit, entre autres, d’apporter notre contribution dans les domaines du développement, la coopération Sud-Sud, les questions environnementales, les droits humains, le règlement pacifique des différends, les opérations de maintien de la paix, ainsi que la lutte contre les discours de haine, le terrorisme et l’extrémisme violent, etc.
Dans ce cadre, le Maroc est régulièrement amené à jouer un rôle de bridge-builder au sein de l’ONU, ce qui lui permet de bénéficier de la confiance de nombreux pays et le place comme un acteur naturel et idéal pour faciliter nombre de processus importants, y compris avec des pays qui ne sont pas considérés comme ses alliés traditionnels.
On parle beaucoup du rôle des lobbies aux États-Unis. En tant qu’ambassadeur du Maroc à l’ONU, avez-vous affaire (ou recours) à ce type d’interlocuteurs ?Les Nations unies n’autorisent aucune activité de lobbying en son sein. Cependant, certains lobbies s’activent discrètement sous couvert d’ONG, notamment sur les questions de développement, de changement climatique et des droits humains. L’Algérie a recours depuis plusieurs années à « l’ONG » Independent Diplomat pour promouvoir et servir de back-office à son proxy, le « Polisario ».
Comment se passent les relations avec les autres diplomates au sein des Nations unies, notamment ceux issus de pays dont les relations sont tendues avec le royaume comme l’Afrique du Sud ou l’Algérie ?L’ONU est un espace multilatéral où les relations personnelles et professionnelles sont importantes. Les diplomates marocains participent à toutes les réunions. Ils collaborent avec tous leurs collègues, sans exception aucune, y compris l’Afrique du Sud, de manière constructive, dans une atmosphère saine et sereine, et toujours avec respect et professionnalisme.
Tous les membres des Nations unies sont témoins au quotidien que le Maroc n’est jamais à l’origine des tensions dans les débats au sein de l’organisation. Cependant, il réagit avec vigueur et fermeté chaque fois que l’Algérie se hasarde à porter atteinte à sa cause nationale.
Vous êtes amené régulièrement à croiser le fer avec votre homologue algérien, qui vient d’être remplacé par un autre ambassadeur, que l’on dit plus virulent que son prédécesseur. Qu’est-ce que cela vous inspire ?Ce n’est pas de gaieté de cœur que je suis régulièrement amené à réagir aux provocations de mes collègues algériens. Je n’ai aucun préjugé à l’égard du nouvel ambassadeur algérien auquel je souhaite une chaleureuse et fraternelle bienvenue. Il y a un proverbe arabe que je paraphraserai comme suit : s’il opte pour la coopération et le respect du Maroc, j’en ferai autant, sinon plus. S’il choisit la provocation et la virulence, je lui opposerai la sérénité et la fermeté.
Cependant, malgré nos joutes oratoires, je reste un diplomate irréductiblement optimiste. Rêvant chaque jour, en ces temps de crises internationales multiformes, de l’immensité du potentiel de coopération entre un Maroc et une Algérie unis, et son impact bénéfique dans tous les domaines sur nos deux pays, sur la relance du grand Maghreb, sur le développement et la stabilité de notre continent africain, sur nos relations avec le voisinage européen et dans les négociations des questions globales aux Nations unies.
Ces dernières années, on a vu plusieurs pays soutenir le plan d’autonomie marocain pour le Sahara occidental, et même une reconnaissance par les États-Unis en décembre 2020 de la souveraineté du Maroc sur cette région, puis par l’Espagne en mars 2022. Quelle est l’étape suivante pour venir à bout de ce conflit autour de la marocanité de ce territoire ?Soyons clairs, il n’y a pas de conflit autour de la marocanité du Sahara. Comme l’a bien précisé Sa Majesté le roi Mohammed VI, « la marocanité du Sahara ne sera jamais à l’ordre du jour d’une quelconque tractation », elle est « une vérité aussi pérenne qu’immuable. Elle ne souffre, de ce fait, aucune contestation ».
Si le Maroc est engagé dans le processus politique sous l’égide exclusive de l’ONU, ce n’est donc pas pour négocier la marocanité de son Sahara, mais pour parvenir à un règlement politique de ce différend régional artificiel créé et maintenu par l’Algérie pour des raisons géopolitiques datant de l’ère de la guerre froide.
L’Algérie doit savoir que le recouvrement du Sahara est irréversible. Près d’un demi-siècle après, elle doit se rendre à l’évidence et admettre que son projet polisarien est un fiasco géopolitique, qu’il représente un fardeau financier et socio-économique, et conduit à un isolement diplomatique.
S’agissant de la prochaine étape, tous les espoirs reposent sur les efforts et le doigté onusien de l’envoyé personnel du secrétaire général pour le Sahara, Staffan de Mistura, pour l’organisation de la troisième table ronde dans le même format et avec les mêmes participants, l’Algérie en premier, et ce conformément aux dernières résolutions du conseil de sécurité, dont la 2 654 d’octobre 2022.
Quel rôle peuvent encore jouer les Nations unies au Sahara ?L’ONU a la responsabilité exclusive de faciliter une solution politique afin de clore définitivement ce différend régional.
C’est pourquoi le Maroc s’est résolument engagé dans le processus politique, et soutient les efforts du secrétaire général et de son envoyé personnel, Staffan de Mistura, pour relancer le processus des tables rondes visant à parvenir à une solution politique, réaliste, pragmatique, durable et de compromis.
Cette solution ne peut être que l’autonomie, sous souveraineté du Maroc et dans le respect de son intégrité territoriale. L’initiative marocaine d’autonomie est l’unique boussole à la solution politique préconisée par le conseil de sécurité et conforme aux critères établis dans ses résolutions successives.
Quid de la Minurso ? Est-elle encore utile ? Entre l’interruption, le 13 novembre 2020, du cessez-le-feu en vigueur depuis 1991 entre le Maroc et le Front Polisario, la rupture des relations diplomatiques entre Rabat et Alger en août 2021, ou encore l’escalade militaire à laquelle se prêtent les deux voisins, le rôle de la Minurso semble difficilement tenable…C’est plus qu’une interruption. C’est une renonciation assumée du cessez-le-feu par le « Polisario », en violation des résolutions du conseil de sécurité et du droit international. L’Algérie et son groupe séparatiste armé en assument toute la responsabilité.
Un éventuel retrait de la Minurso en raison des obstructions à répétition du « Polisario » serait synonyme d’un retour à la situation qui prévalait à la veille du cessez-le-feu établi en 1991. Pour sa part, le Maroc continue à respecter le cessez-le-feu et les accords militaires.
De ce fait, pour le Maroc, la Minurso, dont le rôle consiste exclusivement à superviser le cessez-le-feu [et non à observer les droits humains, NDLR] reste bien évidemment utile afin de préserver la sécurité et la stabilité de la région.
Pensez-vous, alors que le Front Polisario célèbre son 50e anniversaire, qu’une solution, notamment le plan d’autonomie proposé par le Maroc, est réalisable rapidement ?C’est une insulte à la souffrance des populations sahraouies des camps de Tindouf que de « célébrer » la création de ce groupe séparatiste armé. Ce suppôt de l’Algérie va célébrer cinquante ans de supercherie, de séquestration des populations dans les camps de Tindouf et de détournement des aides humanitaires. Cinquante ans de complicité avec l’Algérie dans la mise en œuvre de son agenda déstabilisateur de la région et de deuil après l’enterrement de l’idéal maghrébin.
Pour rappel, le Maroc a inscrit la question du Sahara à l’agenda de la commission de décolonisation en 1963 pour demander sa libération de l’occupation espagnole et sa réintégration à la mère patrie, le Maroc. Soit dix ans avant que l’Algérie ait créé son proxy, avec l’appui financier et militaire de Kadhafi.
Même après sa création, l’Algérie ne jugeait pas utile d’y faire référence. Dans sa lettre du 19 novembre 1974, le représentant permanent de l’Algérie à New York précisait que « outre l’Espagne, en tant que puissance administrante, les parties concernées et intéressées dans l’affaire du Sahara occidental sont l’Algérie, le Maroc et la Mauritanie », passant ainsi sous silence son nouveau-né, le « Polisario ». Quant à la solution à ce différend régional artificiel, elle consiste en l’autonomie sous la souveraineté du Maroc et dans le plein respect de son intégrité territoriale.
Qu’est-ce qui bloque, selon vous ?C’est l’Algérie. Elle a rejeté les dernières résolutions du conseil de sécurité qui appellent à la reprise du processus politique et refusé de revenir aux tables rondes, comme l’exige le conseil de sécurité. Blocage à Alger, mais émancipation politique et dynamique socio-économique dans les provinces sahariennes grâce au Nouveau Modèle de développement des provinces du Sud, lancé par Sa Majesté le roi Mohammed VI en 2015.
Même la communauté internationale n’a eu cure de ce blocage algérien. La reconnaissance de la marocanité du Sahara se renforce chaque jour, avec l’ouverture de 28 consulats généraux au Sahara marocain et la multiplication des expressions de soutien à l’initiative marocaine d’autonomie par une centaine de pays, dont une quinzaine européens et deux membres permanents du conseil de sécurité.
Comment évaluez-vous la situation au sein du Front Polisario, qui a été déserté par plusieurs de ses cadres ?Le front « Polisario » est un corps en pleine anomie. Il a subi une hémorragie de ses fondateurs historiques, qui ont soit rejoint la mère patrie, le Maroc, soit se sont installés en Europe.
Ces derniers s’activent dans le cadre de mouvements de dissidence, appelant à la fin de la mainmise algérienne sur les structures du « Polisario » et la recherche d’une solution politique avec le Maroc, notamment le soutien à l’autonomie.
C’est dans ce contexte que les camps de Tindouf connaissent, depuis le dernier congrès de ce groupe séparatiste armé, une ébullition sans précédent que les services secrets algériens ne parviennent pas à endiguer.
Une guerre au Maghreb est-elle possible, comme l’a suggéré le président algérien Abdelmadjid Tebboune dans une interview au Figaro en décembre dernier ?Mon éducation et les principes de la diplomatie marocaine m’interdisent de commenter les déclarations des chefs d’État, a fortiori celle d’un pays voisin frère. Cependant, pour répondre à votre question, je voudrais vous rappeler que Sa Majesté le roi Mohammed VI a exhorté la partie algérienne dans son discours du Trône de juillet 2021 à « œuvrer de concert et sans conditions à l’établissement de relations bilatérales fondées sur la confiance, le dialogue et le bon voisinage ».
La sagesse du Souverain et la constance de sa main tendue sont confortées par l’Article 2 de la Charte des Nations unies qui appelle les membres de l’organisation à régler « leurs différends internationaux par des moyens pacifiques ».