Au Maroc, l’échange des devises reste très encadré. Mais, pour répondre à la mobilité croissante des Marocains à l’international, le royaume assouplit progressivement sa législation et libéralise les opérations de change. Au Maroc, c’est peu dire que les transferts d’argent vers l’étranger sont réglementés. Étudiants internationaux, touristes, hommes d’affaires, Marocains de la diaspora… Tous ont été confrontés, à un moment donné, à la politique stricte qui encadre les sorties de devises marocaines hors du pays.
Car à l’inverse de l’euro ou du dollar, et par crainte d’une pénurie, le dirham n’est pas une monnaie librement convertible. Cependant, une incontestable dynamique de libéralisation esquissée dans les années 1980 est à l’œuvre, pour faciliter son intégration à l’économie mondiale.
Du « sur-mesure » pour les étudiantsEnviron 65 000 étudiants marocains seraient inscrits dans des écoles et des universités étrangères, dont 45 000 en France. La hausse continue de cette émigration universitaire a provoqué une diversification des destinations. Pour les étudiants qui s’orientent vers des pays où les frais de scolarité sont plus élevés – en particulier dans les universités anglo-saxonnes -, les dotations accordées jusqu’à présent ne répondaient plus à leurs besoins sur place. Autant de facteurs qui ont contraint les autorités marocaines à approfondir les dispositifs existants, et à en élaborer de nouveaux.
Passé de 7 000 à 10 000 dirhams (638,50 à 912 euros), le plafond des dotations accordée aux étudiants a été élevé en 2019 à 12 000 dirhams. Les conditions d’éligibilité sont très précises : elles stipulent, par exemple, que « le logement doit être destiné à l’usage de l’étudiant et répondre exclusivement à son usage propre, et dans la ville où il poursuit ses études ».
Il est possible d’obtenir une dérogation en cas de frais de scolarité plus élevés mais ceux-ci doivent être prouvés, documents à l’appui. À noter également qu’une dotation supplémentaire unique de départ de 25 000 dirhams (2 280 euros) peut être octroyée à l’étudiant lors de son départ, pour couvrir des dépenses comme ses livres scolaires ou ses frais de voyage.
Un long processus de libéralisationSi ces mesures semblent très timides comparées au coût que peuvent atteindre des études à l’étranger entre le prix des loyers et celui de la vie quotidienne, il faut néanmoins garder à l’esprit que le Maroc part de loin. Avant que ne soit engagé un long processus de libéralisation de son économie et, donc de sa monnaie, les contrôles de changes étaient totalement centralisés.
À titre d’exemple, la dotation touristique annuelle, qui s’élevait à 45 000 dirhams, a été revalorisée à 100 000 dirhams (plus de 9 000 euros) en 2022, contre 20 000 dirhams en 2004. Un geste qui place le Maroc très loin devant ses deux voisins du Maghreb : en Tunisie, cette dotation s’élève à 6 000 dinars tunisiens (environ 1 760 euros), tandis qu’en Algérie, son montant est dérisoire : 15 000 dinars algériens, soit une centaine d’euros.
Une spécificité marocaine ?« Le Maroc n’est pas restrictif en matière de gestion des opérations de change, c’est tout le contraire, assure l’économiste Abdelghani Youmni. Le royaume n’est pas un pays rentier, et les réserves de change y sont considérées comme une quotité de la valeur ajoutée de l’économie de transformation industrielle et tertiaire, mais aussi de l’épargne des Marocains résidents à l’étranger [MRE]. Ce n’est donc pas de l’argent facile. »
En 1993, le Maroc a adhéré à l’article 8 des statuts du FMI, ce qui lui a permis d’effectuer un certain nombre d’ « opérations en capital, comme des investissements étrangers au Maroc, des financements extérieurs mobilisés par les entreprises marocaines, des investissements et placements effectués par des personnes morales marocaines à l’étranger », rappelle l’Office des Changes. Qui se félicite de ce que les processus de libéralisation mis en place à cette époque aient « largement dépassé les exigences de l’article 8 des statuts du FMI ».
Abdelghani Youmni rappelle par ailleurs qu’ « il ne faut pas confondre libéralisation des opérations de change avec convertibilité totale du dirham ». En effet, le Maroc procède à l’intégration de sa monnaie dans l’économie mondiale étape par étape. En 2020, encouragé par le FMI, il se décide à approfondir sa « flexibilisation » et adopte une bande de fluctuation de +/- 5 %, afin d’augmenter sa compétitivité et sa croissance.
Rempart contre l’inflation« Très peu de pays à revenus similaires ont le même fonctionnement, concède Abdelghani Youmni. La particularité du Maroc est de libéraliser sa politique de change au fur et à mesure de la consolidation de ses réserves et de la diversification de ses ressources, tout en s’interdisant la convertibilité totale du dirham, ce qui constitue un robuste rempart contre l’inflation et les fluctuations forcées du taux directeur ».
Et l’économiste de citer en exemple certains pays de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (Mena), comme l’Égypte, la Turquie et, dans une moindre mesure, la Tunisie, qui ont adhéré au principe de convertibilité monétaire. « Ces États sont aujourd’hui victimes de fortes inflations, de dépréciations monétaires en cascade et d’une perte de pouvoir d’achat qui touche toutes les classes sociales, assure-t-il. La non-convertibilité du dirham protège l’économie marocaine des spéculations monétaires et des dévaluations par effet cliquet [phénomène qui empêche le retour en arrière] ».
Les MRE, source de devisesPar ailleurs, le Maroc peut compter sur les Marocains résidents à l’étranger. En 2022, selon les chiffres de Bank Al-Maghrib (BAM), les transferts financiers des MRE vers le royaume ont atteint 100 milliards de dirhams. Une manne financière gigantesque, dont le Maroc a parfaitement compris l’importance. Plusieurs outils sont ainsi mis à dispositions des MRE afin de les encourager à injecter d’une manière ou d’une autre de la devise au Maroc, notamment en investissant dans l’immobilier.
Pour le reste, les choses évolueront à leur rythme. « Il est indéniable que le dirham est loin d’être complètement laissé à la loi du marché », reconnaît Abdelghani Youmni. La convertibilité totale est une phase périlleuse qu’il ne faudra entamer qu’une fois l’émergence économique atteinte, avec une croissance durable d’au moins 5 % et un PIB par habitant d’au moins 8 000 dollars [contre 3 800 dollars actuellement, NDLR] », prévient l’économiste.